Terre en vue

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Je suis partie ce soir-là, le soir où cet espoir perdu en moi était revenu soudainement. Je m'étais allongée sur le sable et j'avais regardé les étoiles. Il faisait froid mais je m'en fichais, je ne m'intéressais qu'aux petits points blancs qui luisaient dans le ciel noir et profond. Dans ce ciel rempli d'étoiles, j'étais un peu perdu. Mais au milieu de toutes ces petites lumières, je vis une étoile très proche de la lune. Je me rappelai alors du jour où mon père m'en avait parlé. Il m'avait confié que c'était sa préférée. Elle était un peu plus brillante que les autres autour d'elle, car la lune lui projetait sa lumière. Je crois qu'elle s'appelle Antarès. Le simple souvenir de mon père me remonta le moral. 

        Le petit bateau que j'avais fabriqué était resté là, à m'attendre alors que j'avais renoncé. Au petit matin, où l'air était encore frais et que les dernières étoiles n'avaient pas encore disparues, je mis les voiles. J'étais déterminée comme jamais à retrouver mon grand frère. Il ne devait pas mourir, pas maintenant. Je devais le retrouver et lui dire adieu. Je ne supporterai pas qu'en arrivant à l'hôpital, je le retrouve mort. Je ne pourrai tout simplement pas revivre ça. Mon cousin était mort comme ça il n'y a pas très longtemps, à cause d'un bombardement. À cause de cette foutue guerre. Il était comme un frère pour moi. La guerre n'était que signe de malheur et de détresse. Je la haïssais, je la haïssais plus que tout au monde. À cause d'elle j'avais perdu toute ma famille. Le seul souvenir qu'il me restait de mes proches, c'était un vieux collier où reposait une photo de mes deux frères, mes parents et bien sûr moi. J'étais petite ce jour-là. J'avais à peu près cinq ans, peut-être six... Maman m'avait donné ce bijou avant d'embarquer dans le paquebot. Ce foutu paquebot. Mon ours en peluche était toujours serré contre moi. Je ne l'avais jamais lâché. Le soleil commençait à paraître derrière les nuages. Maintenant, il n'y avait plus aucune île en vue. Parfois, je m'imaginais mes parents au fond de l'eau et cela me faisait pleurer. Souvent je me demandais si j'avais bien fait de partir de cette île. Peut-être que j'aurais dû rester, peut-être que j'aurais dû attendre que quelqu'un vienne me chercher. Je ne savais pas quelle heure il était. J'avais froid, faim, j'avais soif. J'étais perdue. Mais souvent je me remémorais la phrase de la vieille dame : " Vis pour moi, pour tes parents, pour tes frères et sœurs. Tu es jeune, tu dois vivre. "

        Cela faisait maintenant des heures, peut-être des jours que j'attendais. Je guettais le moindre bout de terre en vue, mais je ne voyais rien. Je ne voyais qu'un infinité d'eau. La pluie me tombait sur le corps. J'étais transie jusqu'aux os. J'entendais l'orage gronder au loin et cela me rappela mon petit frère. Il avait toujours eu peur de l'orage, même quand nous étions à l'intérieur de notre maison. Ils me manquaient tous. Ils me manquaient cruellement. J'avais envie de crier de rage, de peur, de détresse. J'avais envie de crier mais aucun son ne sortait de ma bouche. J'avais peur. Parce que je ne savais pas vraiment où j'allais. Parce que j'étais seule. Parce que ma famille n'était pas là, avec moi. Parce que mon grand frère me manquait, parce qu'il était peut-être mort. Tout était loin de moi déjà. Tout était derrière.

        J'étais épuisée. J'avais à peine la force d'ouvrir les yeux, mais je fis quand même l'effort de regarder autour de moi. Il ne pleuvait plus, un grand soleil tapait haut dans le ciel. Il faisait presque chaud. Mais surtout, au loin, j'aperçus un bout de terre. Je me levai brusquement et j'émis un cri de joie. Mon bateau tangua mais pas assez fort pour me faire tomber. De toute façon, j'avais retrouvé toute mon énergie. J'aurai pu nager jusqu'à l'île si je l'avais voulu. Je m'efforçai de garder mon calme. Ce n'était peut-être qu'une île abandonnée au milieu de l'océan. Pour le savoir, il fallait que je m'y pose.

        Mon premier pas sur l'île me fit du bien. En attendant, je ne voyais aucune maison. Mais il ne fallait pas que je perde espoir. Pas maintenant. Je commençai à faire le tour de l'île. Au bout d'une demi heure de marche, j'aperçus un petit chalet, duquel sortait de la fumée. Je courus, je courus le plus vite possible. Je criai aussi. Je criai très fort. Je m'arrêtai devant la porte d'entrée et je toquai à la porte. J'entendis des bruits de pas, et la porte s'ouvrit.


Le naufrageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant