10 Août 2053.
Zoubida était étendue sur le lit, ce lit qui ne représentait pour elle que de la souffrance et des larmes. Son mari, Kader, avait fini sa besogne. Pas un geste d'amour, de tendresse, ni même de reconnaissance. Elle n'était devenue qu'un réceptacle, une enveloppe dénuée d'âme, de désir ou d'espoir. Alors qu'elle essayait de chasser de son esprit les minutes précédentes, elle se mit à penser à son bunker. Elle se remémorerait ces petits bouts de livre qu'elle avait pu lire et qui étaient les seules lueurs dans sa vie de ténèbres.
- Demain, je pourrai y aller, murmura-t-elle en esquissant un sourire.
Se rendre au bunker fut la toute première chose qui traversa son esprit lorsqu'elle se réveilla. Son mari avait dormi avec son autre femme, Leïla.
Zoubida appréciait ces réveils-là.
À peine debout, Zoubida enfila ses vêtements délavés, sa burqa et se dirigea rapidement vers la cuisine. Elle y trouva, comme chaque matin, Leïla.
Zoubida n'avait jamais apprécié Leïla et cela semblait être réciproque. Elle avait cinq ans de plus que Zoubida, et la jalousie de Leïla semblait palpable chaque fois que son regard se posait par inadvertance sur elle.
- Je vais sortir, déclara Zoubida.
- Tu vas où encore ? demanda froidement Leïla.
- Juste faire un tour, il fait beau et j'aime bien être dehors.
- Comme tu veux. Mais ne traîne pas, tu sais que Kader n'aime pas quand tu es trop longtemps dehors.Sans dire un mot, Zoubida sortit par la porte de la cuisine qui donnait sur la cour de la maison.
Zoubida traversa la cour d'un pas rapide afin de rejoindre la route de terre qui la mènerait jusqu'au bunker. Alors qu'elle marchait sur la route depuis quelques minutes, elle aperçut une ombre au loin, celle d'un homme. La peur s'empara aussitôt d'elle. Elle savait très bien qu'il n'était jamais bon pour une femme seule de croiser un homme. Elle connaissait que trop bien le danger que représente une telle situation. À mesure que l'ombre se rapprochait d'elle, l'angoisse montait. Une angoisse qui s'estompa aussitôt lorsqu'elle put enfin distinguer le visage de l'homme. C'était Guillaume!
Un garçon de 16 ans vivant encore chez ses parents dans une luxueuse maison à quelques centaines de mètres de celle de Zoubida. Les parents de Guillaume avaient activement participé à la campagne présidentielle du candidat Slimani et avaient donc gagné le droit de rester chrétiens et de jouir d'une vie de privilégiés que beaucoup d'autres auraient enviée.
Au fil des années, Zoubida avait eu l'occasion de croiser régulièrement Guillaume lorsque Kader était invité chez ses parents ou lorsqu'elle se rendait en ville. Bien que leurs rencontres étaient toujours fugaces, elle avait toujours ressenti une certaine forme d'affection pour Guillaume qui avait toujours été toujours courtois et bienveillant à son égard.
- Guillaume ! C'est moi, Zoubida.
- Oh salut, désolé de ne pas t'avoir reconnue mais faut dire qu'avec ce truc sur la tête, impossible de deviner. Qu'est-ce que tu fais là ?
- Une petite balade, ça me permet de m'aérer un peu la tête.
- Ça va avec Kader en ce moment ? Mieux que la dernière fois ?
Zoubida ne répondit pas mais son regard et son sourire crispé le firent à sa place.
- Sois forte, je suis sûr qu'un jour ça ira mieux, Dit-il avec un regard plein de compassion.
Là encore, Zoubida resta muette. Cela faisait longtemps qu'elle avait abandonné toute vision positive de l'avenir.
- Tu veux qu'on marche un peu ensemble histoire de se changer les idées ?
- C'est gentil mais, je ne veux pas trop traîner, il ne faudrait pas que quelqu'un nous voie ensemble.
- Je comprends. Prends soin de toi Zoubida.
Guillaume reprit sa route mais Zoubida ne pouvait pas en faire autant. Elle hésita quelques secondes puis se tourna vers Guillaume.- Guillaume ? Tu veux que je te montre un truc cool ?
Il ne leur fallut pas plus de 10 minutes pour rejoindre le bunker. Aussitôt à l'intérieur, Zoubida retira machinalement sa burqa sans se rendre compte que Guillaume ne l'avait jamais réellement vue auparavant.
- Je te préfère comme ça.
- Merci, répondit Zoubida timidement tout en baissant les yeux.
- Alors, c'est quoi cet endroit ? Y a un paquet de bouquins. Une chance qu'ils aient pu échapper à la grande purge.
- Je ne sais pas. Je suis tombé dessus par hasard il y a quelques semaines. Je viens ici de temps en temps pour lire un peu.
- À part la Bible, nous n'avons pas de livre à la maison. Trop risqué par les temps qui courent. Ils parlent de quoi, tous ces bouquins ?
- Il y a un peu de tout, des histoires d'aventure, des livres sur l'histoire de France, des histoires d'amour. Des choses qui n'existent plus que sur le papier.
- Je me demande parfois à quoi ressemblait la vie d'avant, mes parents ne veulent pas m'en parler. Ils disent que c'est pour me protéger.
- Tu as de la chance, mes parents m'ont mariée à Kader quand j'avais 8 ans et je ne les ai plus jamais revus. Je pense que c'est mieux comme ça, ils ne m'ont jamais vraiment aimée. Je ne sais même plus ce que veut dire ce mot, "aimer". Je n'ai plus que de la colère et de la rage. J'aimerais que ce monde brûle et que tout soit fini.
C'est à ce moment précis que Zoubida comprit qu'elle n'avait plus rien à perdre. Que même la mort restait un horizon plus enviable que cette vie insipide. Elle releva les yeux pour fixer ceux de Guillaume.
- Guillaume, je voudrais que tu m'embrasses.
Quelques secondes qui parurent une éternité s'écoulèrent puis Guillaume répondit en chuchotant :
- Tu es folle ? Et Kader ? Et ton dieu ?
- Kader et Allah, je les emmerde.
- Je n'ai jamais embrassé personne, dit-il l'air honteux.
- Moi non plus, en tout cas, jamais en en ayant eu envie.
Zoubida s'approcha de Guillaume et posa sa main sur son torse. Elle sentit son cœur battre sous la paume de sa main. Elle ne sentait pas son propre cœur battre mais l'idée qu'il puisse battre au même rythme que celui de Guillaume lui donna le courage de se rapprocher jusqu'à ce que ses lèvres effleurent les siennes. Elle s'arrêta un instant puis elle sentit la main de Guillaume lui caresser doucement la joue, ce qui l'encouragea à appuyer ses lèvres sur celles de celui qui avait été le seul à ne jamais lui avoir fait du mal.
Ce fut un baiser tendre, de ceux que l'on ne donne et ne reçoit qu'une fois dans une vie.
C'est à ce moment que Zoubida ressentit quelque chose de quasiment indicible. Ce n'était ni l'amour, ni le plaisir mais l'espoir qui s'était emparé de son cœur flétri. Elle comprit qu'elle ne pouvait plus vivre ainsi et qu'elle ferait tout pour que ce pays sorte des ténèbres et de la barbarie.Zoubida ne le savait pas encore, mais ce banal baiser d'adolescent au milieu de la poussière et des souvenirs d'une France oubliée, allait tout changer.
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LA JEUNE FILLE ET L'ISLAM
General FictionUne jeune fille née dans une France transformée, où l'islam est devenu la force dominante découvre que son destin est intimement lié à celui de son pays.