Prologue

143 12 0
                                    

Autour de moi gisent mes frères et sœurs fremen. Leurs corps sont encore chauds comme s'ils s'étaient simplement endormis, s'apprêtaient à se relever et à poursuivre leur lutte effrénée.

Odeurs de cendres, sang et sueur se mêlent et brouillent mes sens. Les dunes m'entourent. Leur beauté sera éternellement souillée par le sang Harkonnen, qu'on ne distingue plus du sang Fremen. Deux ennemis, pourtant si proches dans la mort.

Mes plaies ne me font pas encore souffrir, l'adrénaline m'en préserve. Seule subsiste ma rage de vivre et de ne pas rompre face à la pression adverse.

À ma droite, Canopus(1) se lève enfin, le calme le suit. Il nous a abandonnés lâchement à notre sort, nous étions seuls dans l'obscurité dont aucun n'est revenu. Aucun à part moi.

Je reste là, accroupie dans le sable couteau en main, incapable de saisir justement l'horreur de ce massacre. Une nuit... Une nuit seulement et ma tribu n'est plus, tous ont été abattus comme des bêtes, avec pour seuls témoins Avron et Krelln(2). Eux aussi nous ont abandonnés, pense-je, ils ont contemplé silencieusement la mort des miens. Mais je les ai tout autant abandonnés... qu'ai-je fais quand ces bâtards de Harkonnen ont égorgé hommes, femmes et enfants sans distinction ? J'ai fuis, abjectement. À un moment crucial où le moindre faux pas ne pardonne pas, la peur s'est emparée de mon corps et de mon esprit.

Ma vie je la dois à ma grande sœur Sireen, la plus grande Fedaykin que j'ai connu. C'est elle qui aurait dû vivre. Dans ses derniers instants, elle a tout fait pour que je survive. Je la hais je la hais je la hais, je me hais. Pourquoi moi plutôt qu'elle ? Je la hais d'avoir donné sa vie pour moi, je la hais de m'imposer de vivre avec ce poids. Mais plus que tout je me hais moi, d'avoir été incapable de quoique ce soit, d'avoir été si faible. Je me noie dans le vide abyssal de son regard. Un linceul de larme voile ma vue, menaçant de couler. Je ne pleurerai pas. Je n'ai pas le droit de pleurer.

Des heures durant je me perds dans ces méandres de pensées obscures. Je ne la vois pas tout de suite arriver. Une ombre approche, immense et menaçante telle un spectre. Elle s'accroupie, m'observe, un sourire carnassier aux lèvres :

– Regarde de toi, petite chose... dit-elle, tu dois être fière d'être toujours en vie, reconnaissante peut-être ?

Elle marque une pose. Fière ? En cet instant je ne désire rien d'autre que rejoindre ma sœur, pense-je.

– Je te ferai regretter de ne pas être morte avec tes camarades fremen, assène l'ombre.

Je lève les yeux. L'ombre est un homme plus jeune que ce que sa carrure et son amour évident du sang n'auraient pu laisser penser. Il est grand à la peau laiteuse, ce qui tranche avec la noirceur de son armure et de ses dents. Ce garçon tient plus du monstre que de l'humain. Il n'a aucun cheveux ou autre pilosité. Ses yeux bleus ne transmettent rien d'autre que cruauté et sadisme. Sa vue ne m'inspire que dégoût et haine. Comment peut-il prendre du plaisir dans la souffrance injuste de tout un peuple ? Sireen est morte par la folie meurtrière de son peuple. Je le hais.

– Va en enfer, Harkonnen, crache-je.

– À ta place je choisirais mes mots avec plus de discernement, fremen, me menace-t-il, avec toujours ce même sourire prédateur.

Je soutiens son regard. Je ne mourrai pas l'échine baissée. C'est bien la seule chose dont je sois capable, défier du regard. Après quelques minutes sans que personne ne parle, il se tourne vers les soldats qui le flanquent.

– On l'embarque, ordonne-t-il. Celle ci sera des plus divertissante.

Les démons noirs me soulèvent sans difficulté. ils me passent des menottes et prennent le krys(3) que j'avais en main, le krys de ma sœur.

À l'aube du Soleil NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant