Prologue 3

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Ce n'est d'abord qu'une rumeur à peine perceptible, qui se transforme progressivement en un grondement d'orage. La foule martèle le sol des gradins en rythme, elle scande le nom de Feyd-Rautha en une litanie des plus sinistres. En contrebas, l'arène qui s'étend est gigantesque, telle la bouche d'un monstre prêt à m'engloutir.

Les couleurs semblent avoir été aspirées, ne subsistent que le noir et le blanc. Le Soleil Noir de Geidi Prime... une monstruosité de la nature qui sied parfaitement aux Harkonnen. Sous ses rayons, ma peau paraît d'une blancheur parfaite, tout comme ma tunique d'ordinaire noire. Tout prend une allure de scène macabre de spectres dansants. Shee est à côté de moi, mais elle ne me parle ni ne me regarde, je suppose qu'elle n'y est pas autorisée en public. Sa présence reste pour moi un grand soulagement.

À l'autre bout de l'arène, le Baron entre dans sa loge, et soudain la foule se tait. Une voix prend la parole dans une langue que je ne connais pas. En réponse, la foule reprend de plus belle ses chants martiaux.

Des figures noires masquées se tiennent sur le pourtour de l'arène. Leur masque fait croire à d'immondes cornes tournées vers le sol. Je ne distingue pas l'outil qu'elles ont dans les mains mais j'imagine que je ne tarderai pas à le savoir. Cette mise en scène me rend nerveuse.

Les hurlements se font plus enragés quand Feyd-Rautha fait son entrée. Il porte une armure noire qui lui découvre les bras. Il tient deux dagues, l'une blanche, l'autre noire. Il est nettement plus grand et plus épais que lors de notre dernière rencontre sur Arrakis. Il n'a jamais été plus terrifiant qu'aujourd'hui, sous ce Soleil noir.

Son entrée est triomphante, il hurle son désir de sang à la foule. Le souhait du prince noir est immédiatement éxaucé: deux hommes entrent. Aucun ne porte d'armure, ils n'ont qu'un couteau à leur disposition. Leur démarche est chancelante, comme si l'épice leur était montée à la tête. Ils ont été drogués, comprends-je. C'est un abattoir, pas un combat. Voilà la célébration des anniversaires selon cette famille tordue.

Un troisième homme fait son entrée, aussi bien armé et vêtu que les deux premiers, avec la seule différence que celui marche droit. Je vois Shee se tendre à côté de moi en même temps qu'une rumeur parcourt la foule, ce n'était donc pas prévu. Cela m'étonnerait qu'on ait malencontreusement oublié d'en droguer un. Là est donc le véritable cadeau d'anniversaire que le Baron fait à son neveu.

La voix reprend la parole, je n'ai pu comprendre qu'un mot, "Atréide". Mais j'ai du mal comprendre, ça n'aurait aucun sens. Ce seraient des Atréide ? De mes souvenirs, la maison Atréide vit sur Caladan, comment et quand seraient-ils entrés en conflit avec les Harkonnen ? Quelque chose n'est pas normal. Je lance un regard rempli d'interrogation à Shee

– Je t'expliquerai, me chuchote Shee comme si elle avait entendu la multitude de questions qui me traversent l'esprit.

Feyd-Rautha se dirige vers le premier homme. Sans surprise, la lutte ne dure pas. En quelques coups implacables et parfaitement exécutés, l'homme s'écroule. Le second se jette sur lui avec une rage folle, mais il tombe aussi rapidement que le premier. Autour du guerrier le sang se repend en une marre noire qui maccule le sable blanc. Cette vision d'horreur plaît à la foule, elle le lui fait savoir par des cris stridents.

Le dernier Atréide approche du Na-Baron. Tous les deux s'étudient et soutiennent le regard de l'autre. Après un moment à se tourner autour, ils s'élancent l'un vers l'autre.

L'Atréide pare avec brio les coups de son adversaire qui ne démotive pas face à la résistance, au contraire, il semble n'y prendre que plus de plaisir. Feyd-Rautha brise l'échange de coups le temps de porter la main à son torse et de jeter quelque chose à terre, son bouclier je suppose. Il aime le goût du risque. Cette boucherie n'est pour lui qu'un jeu.

Les figures noires se rapprochent, elles resserrent l'arène autour des deux combattants. Feyd-Rautha frappe de son pied l'Atréide à l'abdomen, ce qui l'envoie valser quelques pas en arrière, trop proche des figures noires. Elles rugissent et le harponnent avec les étranges armes qu'elles tiennent. L'Harkonnen hurle en réponse: c'est sa proie, pas la leur.

Sans que je ne puisse voir comment ni quand, l'Atréide reprend l'ascendant, il tient fermement la lame de Feyd-Rautha au-dessus de son œil, mais celui-ci résiste. Il est à deux doigts de la mort, l'Atréide va gagner, Feyd-Rautha va mourir. Un rire transperce les hurlements de la foule, le rire du Na-Baron. Mes poils se dressent sur mon échine. Comment peut-il rire dans une pareille situation ? Comme pour me répondre, en un clin d'œil Feyd-Rautha récupère l'arme de son adversaire et l'enfonce dans son plexus jusqu'à la garde avec une lenteur sadique. L'Atréide tombe dans ses bras. Son ennemi lui murmure des mots qu'il m'est impossible d'entendre de là où je suis.

La foule en délire célèbre la victoire de leur champion et la mort des trois Atreides. Le Na-Baron brandit fièrement ses lames et son cri se joint à la foule. Il abaisse son bras et le pointe en direction de la loge de son oncle, je ne saurais pas dire s'il lui dédie son combat ou s'il menace ouvertement le baron. Puis il tourne son regard vers moi et mon sang se fige dans mes veines.

Shee brise notre échange de regards, elle m'emmène hors de la loge, vers la forteresse harkonnen.

La forteresse est à l'image de l'arène : noire, immense, froide, elle n'est pas embarrassée d'ornementations inutiles. Depuis ce jour je ne loge plus en prison, je dors avec Shee et les deux autres femmes. Je n'ai pas retenu leurs noms, elles ne me parlent jamais et sont à peine plus bavardes entre elles.

Une fois dans la chambre, Shee m'invite à m'asseoir à côté d'elle sur un long divan.

– Je comprends que cet... L'évènement ait pu te laisser perplexe, tu mérites bien quelques explications.

Je ne réponds pas, impatiente qu'elle poursuive.

– Il y a deux ans, à peu près à la même période où tu as été... trouvée, commence-t-elle, choisissant ses mots avec précaution, Arrakis à été placée sous le commandement de la maison Atréide sur ordre de l'Empereur. Nous avons dû nous retirer pendant un temps, jusqu'à ce que le Baron lance une offensive contre le Duc Atréide et toute sa maison, quelques mois seulement après qu'ils aient pris le contrôle de la planète. Aujourd'hui la maison Atréide n'est plus qu'un souvenir, finit-elle, l'air sombre.

Je suis incapble de réagir autrement que par le silence. L'une des plus puissante maison exterminée en une nuit dans le plus grand des secrets... La fureur de cette famille n'a donc pas de limite, tout comme leur amour du pouvoir et de l'argent. Je savais les Harkonnen puissants et cruels, mais cela dépasse de loin tout ce que j'avais imaginé.

Je n'ai jamais connu d'Atréide, pourtant mon cœur se serre en entendant ce récit. La famille Atréide a connu le même sort que les miens : un massacre sauvage et injuste perpétré par ces chiens de Harkonnen. Je nous vengerai tous. Je le jure devant Shai-Ulud(1).



Notes :

(1) Le Shai-Ulud, le vers des sables en langue commune, est une créature vivant dans le désert. Aux yeux des religieux fremen c'est une divinité.

À l'aube du Soleil NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant