Prologue 2

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Nous avons quitté Arrakis, je ne saurais pas dire quand. Il y a longtemps que j'ai perdu toute notion du temps. Heures, jours, nuits et mois se confondent dans ma tête en un flux emmêlé de rêves, mirages et souvenirs.

Les cris, le corps inerte de ma sœur, le sang, et son regard hantent mes songes et deviennent pensées obsédantes qui ne me laissent aucun répit, pas même dans le calme sépulcral qui règne dans la pièce.

Je garde une image nette du visage bleui et lacéré de ma sœur. Voila le dernier souvenir que j' aurai d'elle, qui je le sais remplacera celui de son sourire, car même ça ils me l'ont pris.

Aux maux du cœur se joignent ceux du corps : mes articulations se rouillent et mes muscles sont endoloris par l'inactivité prolongée, à un point tel que bouger m'est devenu pénible. La nourriture qu'on m'apporte une fois par jour n'aide en rien : pain rassi et eau, de somptueux mets, quand on s'y fait.

Pour ne pas atteindre la folie et la décrépitude la plus totale, je me suis décidée à mettre en place une routine, la troisième semaine je crois ? Ou était-ce la quatrième, cinquième ? Peu importe. Je me réveille, je me force à marcher et à étirer mes articulations avec un soin méticuleux jusqu'à l'arrivée du garde m'apportant mon repas. Puis je récite l'histoire Fremen, les préceptes Zensunni(1). Et cette nuit-là... je recréé avec le plus de détails possible la nuit où ma vie a volé en éclats. Je n'oublierai pas. Je ne pardonnerai pas. Je revois le corps des miens sans vie, pour certains à peine reconnaissable tant ils ont été défigurés; je revois l'arrivée de ce démon Feyd-Rautha, le siridar-baron, et cette prison, toujours cette prison encore et encore et encore.

Puis je recommence, recommence, et recommence, encore, encore, encore, encore. Mes journées se ressemblent, à ceci près que la folie et la mort m'observent de toujours plus près. Je vois les murs se rapprocher, m'écraser, j'entends leurs  voix se transformer en hurlements. Dans un coin, l'Ombre grandit et je l'affronte du regard. Elle me tuera. Non elle ne me tuera pas.

Parfois le Na-Baron me rend visite, il reste de l'autre côté des barreaux, et m'observe, sans que jamais aucun mot ne soit prononcé. Il guette chacun de mes mouvements, chaque frémissement de ma personne. Il me jauge, me défis. Je sais ce qu'il fait, il me l'a dit, il veut me briser, voir jusqu'où ma détermination ira. Je lui montrerai. Il ne gagnera pas. Il gagnera. Je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir. Non.

Ce ballet muet dure chaque fois plusieurs minutes, puis il s'en va. Me voilà de nouveau seule avec eux.

Puis je recommence, recommence, et recommence, encore, encore, encore, encore, deux années durant.

...

Après plus de deux années à pourrir dans cette pièce sans jamais voir ne serait-ce que les prémices du jour, un garde vient me chercher. Sa prise sur mon bras est douloureuse mais je ne proteste pas, je ferais tout pour m'éloigner d'elle. Pour sortir de la prison, il faut gravir des marches dont je ne vois pas la fin, elles me semblent infinies.

Je vais sortir ? Après tout ce temps ? L'excitation s'empare de moi. Il n'y rien que je ne ferais pas pour revoir Canopus embrasser l'épice dansant sur le sable au gré des vents. Cette pensée est assombrie par l'appréhension et le rappel de la réalité. Tu n'es plus sur Arrakis. Ma fin est-elle proche ? Feyd-Rautha me répondrait sans doute qu'il est plus à craindre que la mort.

Quand finalement nous arrivons au bout, la lumière est aveuglante, et les larmes de douleur se mêlent de larmes de joie. Deux ans sans voir le jour. Néanmoins je suis forcée de fermer les yeux tant la lumière m'est insupportable, mais je me réhabituerai je le sais. Le garde pousse une lourde porte, me pousse à l'intérieur et la referme aussitôt.

À l'aube du Soleil NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant