𝐒𝐎𝐌𝐁𝐑𝐄 𝐒𝐎𝐋𝐈𝐓𝐔𝐃𝐄

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Un récit inspiré d'une tragédie

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Un récit inspiré d'une tragédie.


      Je ne pouvais vivre ainsi, le poids de la culpabilité m'apparaissait trop lourd à supporter. La honte grignotait mon âme et son ombre dévorait mes pensées après cette sombre nuit. J'ai bafoué mes responsabilités en ouvrant la porte des enfers et j'endosse la figure du traître que vous maudirez à jamais. Il vous est impossible de me pardonner et il m'est inimaginable de vous le demander. À ce moment-là, il ne me restait que l'honneur de m'en aller en décidant la manière de mourir. Je suis parti attristé par mes choix et abattu par mon incapacité à vous protéger. Que les démons me dévorent jusqu'aux os ; que mon cadavre et mon cœur nourrissent les bêtes affamées ; que le néant me semble infini, si dans l'au-delà le Suprême Créateur ne reconnaît pas mon crime. En espérant qu'il subsiste des âmes fortes et des rescapés vengeurs, à qui lira cette lettre des cieux, sachez que je regrette.

      Fils bâtard d'un riche banquier de la cité, au lieu de me renier en m'abandonnant à la forêt, mon père s'était efforcé à me donner un enseignement de haut rang. Son ami le plus loyal, l'ancien maître des frontières, avait fait de moi son successeur. Fier de ce noble rôle, le « G » du titre de geôlier décorait l'insigne doré que je portais orgueilleusement au niveau du cœur. L'uniforme noir que je revêtais soulignait l'importance de la mission qui m'était affublé et qui demeurait la priorité de ma vie. J'avais la confiance du souverain ; entre les mains, la protection du royaume des humains. J'habitais avec ma solitude une gigantesque tour bâtie en pierre de taille à la limite du territoire. Bien plus qu'un phare perdu au milieu des montagnes escarpées, il se dressait comme le dernier rempart d'une humanité apeurée. Des siècles durant, nous avons avec succès endigué les intrusions des démons ; j'avais le devoir d'en faire autant.

      Les captures s'enchaînaient depuis deux mois, environ trois à quatre fois par semaine. Cette fréquence inhabituelle de prise démoniaque présageait une vague d'incursion plus conséquente à venir. Par ailleurs, le phare vieillissant demandait à être réparé. L'humidité ambiante engendrait la moisissure des étagères en bois qui supportaient tant bien que mal les imposantes pierres d'obsidiennes dont le réapprovisionnement s'était interrompu. Le stock diminuait à vu d'œil et mes lettres d'avertissement envoyé grâce aux corbeaux en direction de la cité ne me revenaient pas. Il m'était impossible de quitter mon poste pour comprendre la cause de ce dysfonctionnement et mon inquiétude grandissait en même temps que mes insomnies. Que se passait-il ? Je ne pouvais continuer ainsi et pourtant il le fallait. La solitude me pesait, je n'avais personne à qui confier mes angoisses et mes doutes. Ma seule compagnie demeurait dans les quelques bouteilles d'hydromel que j'avais secrètement demandé il y des mois. Ma fierté mise de côté, elles avaient la capacité de ralentir le temps, de le rendre plus agréable à vivre.

      Un troisième mois passa et le moment tant redouté arriva. Sanglé sur mon dos, je transportais tout en haut l'ultime obsidienne qui me restait. La charge paraissait lourde, bien plus pesante que d'habitude. Je gravissais les incalculables marches du phare en supportant non seulement son poids mais aussi la peur de l'inconnu. Qu'allait-il advenir d'un geôlier sans pierre lorsque celle-ci aurait capturé un démon ? Comment pourrais-je faire face au prochain qui tenterait de franchir la frontière ? En montant les escaliers, ces questions ne cessaient de me hantaient, et vacillant, je faillis plusieurs fois tomber et briser la dernière arme que je possédais. Sur les étagères qui recouvraient les parois du phare se trouvaient les obsidiennes où les monstres demeuraient enfermés. Ces entités malfaisantes n'arrivaient pas à s'en échapper, mais elles parvenaient tout de même à murmurer leur haine lorsqu'elles me voyaient approcher. Je ne m'attardais pas à leur hauteur, malgré tout, leurs paroles tranchantes cisaillaient furtivement mon esprit tout en cherchant à le contrôler. Ainsi, elles espéraient que je faiblisse et détruise leur prison minérale pour qu'elles aient la chance de s'évader. Formé toute mon enfance à cette épreuve, j'avais appris à la surmonter sans peine, pourtant la boucle infernale de cette ascension ne m'avait jamais paru aussi douloureuse. Éreinté, et les pensées tourmentées, il me fallut environ deux heures pour atteindre le sommet du phare. J'installai sans attendre l'obsidienne sur le socle qui lui était destiné, et sans délai, elle s'activa immédiatement en se chargeant d'énergie noire. Le dispositif mécanique reconnu la force occulte du minéral et une lentille couplée à un gigantesque miroir concentrèrent sa lueur sombre jusqu'à la projeter brutalement à travers l'horizon. Le système de surveillance et de capture intervenait de manière automatique sans la moindre assistance humaine et balayait par zone très précise la végétation alentour. En regardant ce dernier espoir s'animer, je souhaitais qu'elle continue de chercher sans jamais rien trouver, donnant ainsi le temps à la cité de m'envoyer de nouvelles pierres à utiliser.

𝐒𝐓𝐈𝐆𝐌𝐀𝐓𝐄𝐒 (𝑅𝐸𝐶𝑈𝐸𝐼𝐿 𝐷𝐸 𝑁𝑂𝑈𝑉𝐸𝐿𝐿𝐸𝑆)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant