Un récit inspiré de H. Fragonard.
Ce n'est pas seulement pour la gloire ou l'art que je me suis sacrifié ainsi, mais pour une quête plus profonde, celle de la compréhension de l'âme humaine. En exposant mon corps dans toute sa complexité, je veux rappeler à ceux qui viendront après moi que chaque être est une œuvre d'art, fragile et précieuse.
Après qu'elle m'ait quitté subitement, mon âme brûlée à vif se ternissait dans la plus lourde des solitudes. Le destin vagabond nous a séparés sans que je puisse m'y préparer et je n'ai pu me résigner à l'enterrer. Dans la mort comme dans la vie, j'ai pris soin d'elle en la figeant à tout jamais. Elle restera ma plus belle œuvre, ma fiancée qui chevauche vers de nouveaux sentiers. Il me tarde de la rejoindre et d'explorer à ses côtés les méandres d'un monde que les hommes ne font qu'imaginer. Les flammes dansantes et rougeoyantes s'amenuisaient dans mon esprit, se refroidissaient et périssaient jusqu'à devenir des cendres sèches et éparses qu'un simple coup de vent allait disperser pour l'éternité. Un mal profond me rongeait en dedans. Invisible et non palpable, il demeurait pourtant présent sous ma peau, dans ma chair et mes veines. Enchaîné à ma peine, il tremblait en moi telle une créature tentant inexorablement de s'extirper de son carcan. Il bourdonnait dans mes tympans tout en essayant de me délivrer son message sans que je parvienne à déchiffrer ses intentions. Il s'appuyait contre mon cœur pour marquer de tout son poids son envahissante existence et s'introduisait dans mon esprit jusqu'à en troubler ma vue et mes pensées. Il me détruisait de l'intérieur.
J'ai choisi de mourir comme j'ai vécu : écorché d'une main de maître. Alors, il m'a fallu éduquer cette main tendre et délicate à présenter mon cadavre tel un tableau troublant et dérangeant mais utile à la science. Certains diront que j'étais un artiste, quand d'autres à l'esprit sombre et verrouillé, ne verront dans ce geste qu'une simple mutilation corporelle. Peu importe, je veux être l'ultime chef-d'œuvre, l'écorché vénéré, la référence morbide et intemporelle.
Ils m'ont traité de fou et d'hérétique en m'expulsant de leurs bancs ordonnés et bien cirés. Ils m'ont retiré de leur rang de costumes chics et bien taillés telle une vermine sans jamais tenter d'appréhender mes pensées. Mais j'ai tout de même légué mon savoir, mon art pour des siècles de gloires. Si tu lis ces mots, cela signifie que tu es digne de porter ce fardeau. Toi en qui j'ai confiance pour manipuler ma dépouille, suis attentivement mes instructions sans négliger le moindre détail. Fais de cet art ta bataille et transforme mon corps en une leçon éternelle, mais n'oublie pas d'honorer aussi l'esprit qui l'habitait. Que mon écorché soit non seulement un objet d'étude, mais également un symbole de la beauté et de la douleur de l'existence humaine. Enfin, lorsque ton travail sera achevé, laisse-moi reposer auprès de ma fiancée, que nos âmes puissent se retrouver dans la mémoire du temps et du vide infini.
Je m'affame depuis des semaines pour que la tâche soit moins ardue, et soit en sur, mon corps amaigri sera prêt à la date convenue. Attendant sa dernière manipulation, ma dépouille sera allongée sur la table d'opération. Ma confiance reste aveugle mais je te rappelle grossièrement les étapes à réaliser. Tu ouvriras mes veines et pousseras mon sang hors de mon cadavre. Tu disloqueras mon thorax afin de saisir mon cœur. Tu implanteras des canules dans les ventricules, les deux grandes cavités pour y injecter la cire colorée. Rouge pour les artères et bleu pour les veines en vue de révéler le système vasculaire. Tu disséqueras et cisèleras finement mon corps pour dévoiler les nerfs, les artères, les veines et les muscles. Tu placeras ma dépouille dans l'alcool pour faire sortir l'eau des cellules. D'aspect humide et alcoolisé, tu installeras mon corps dans le séchoir en ouvrant les fenêtres en grand. L'alcool évaporé, tu verniras mon cadavre desséché avec de la térébenthine de Venise, la résine du mélèze, afin de le protéger et ainsi repousser les insectes. Tu n'oublieras pas de souligner à nouveau les artères en rouge et les veines en bleu. Mon écorché sera prêt.
Lorsque tout sera terminé, mon corps écorché sera exposé à la lumière du jour. Une œuvre vivante et morte à la fois. Que ceux qui le contempleront y voient non seulement une prouesse anatomique mais aussi un testament de la fragilité et de la persistance de l'âme humaine. Mon sacrifice ne sera pas vain si, en découvrant mon écorché, les générations futures comprennent que l'art et la science ne sont que deux facettes d'une même quête : celle de la vérité.
Dernière lettre d'un artiste incompris, témoignage d'une âme écorchée.
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𝐒𝐓𝐈𝐆𝐌𝐀𝐓𝐄𝐒 (𝑅𝐸𝐶𝑈𝐸𝐼𝐿 𝐷𝐸 𝑁𝑂𝑈𝑉𝐸𝐿𝐿𝐸𝑆)
Historia Corta"Quand les STIGMATES deviennent les témoignages troublants et mystérieux d'une humanité écorchée, plongez dans un monde où chaque récit révèle les cicatrices invisibles de l'âme, entre psychologie, noirceur et fantastique." Chaque histoire est prése...