𝐃𝐄𝐒𝐈𝐑 𝐌𝐎𝐑𝐓𝐄𝐋

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Un récit inspiré d'un grimoire secret.


      Je ne blâme pas la mort, c'est la vie qui m'a tout pris. Elle m'a trahi alors que je portais en elle de grands espoirs. En me promettant ses délices, et ses heures de gloire, elle s'est jouée de ma confiance en m'offrant son éternel supplice. Je ne suis que l'ombre de mes choix, ils ne revêtent plus aucune saveur, et quand bien même je peux encore décider ma voie, comment se délecter d'un futur où l'on ne me voit pas. Je suis condamné à macérer dans un corps chétif qui déambule, une âme immortelle que j'ai pourtant rêvé de nombreuse de fois.

      J'ai longuement souhaité ce que je ne possédais pas, alors je me suis donné les moyens de mes ambitions. Je ne suis pas né des dieux ni offert par une étoile, il m'a fallu travailler pour mériter, parfois souffrir pour acquérir. Je regrette ce temps-là ! Alchimiste reconnu par mes pairs, je portais haut les valeurs de la discipline. À travers les terres, on demandait secrètement mes compétences et la grandeur de ma fierté n'avait d'égale que ma générosité pour soulager la misère. Je concoctais des élixirs d'amour, de charme et de virilité pour les hommes timides, impuissants ou bien laids ; des sérums de guérison et des amulettes de protection pour celles et ceux plus belliqueux ; des potions de vision et d'éveil spirituel pour les plus aventureux. Mon existence demeurait comblée tout en étant troublée par la peur de l'éphémère. Insatisfait par ma condition humaine, le bonheur qui stimulait mon être s'amenuisait au fil des années. Mon corps vieillissant me rappelait chaque jour la futilité de ma présence et mon obsession pour l'éternité me poussait à résoudre l'énigme interdite de la vie. À force de creuser, on finit par trouver sa propre vérité, me disait ma défunte mère. Mais quel enfant écoute réellement ses parents ? Il n'est seulement qui font semblant, même si la fougue des cœurs battants avait tout à apprendre de la sagesse des vieux os, surtout si ces derniers sont enterrés depuis longtemps. Aujourd'hui, je reste maudit d'avoir trompé le cycle de la vie et je paie encore et pour toujours le prix de mes désirs.

      Loin des regards indiscrets, mon laboratorium étroit et voûté était dissimulé dans une ancienne cave antique de la cité. Dans mes souvenirs, ce lieu restait humide et froid toute l'année, mais ça me convenait. Un atelier rempli d'alambics pour la distillation, des creusets pour la fusion des métaux, des mortiers et pilons pour broyer les substances, ainsi que des balances pour mesurer avec précision. Les étagères en bois supportaient des bocaux comportant des herbes, des poudres et des liquides en tout genre. Mes coffres abritaient des collections de textes anciens, des traités d'alchimie, des grimoires contenant des formules et des incantations, ainsi que des journaux de bord détaillant mes expériences passées. J'aimerais un jour revoir tout ça, mais cet espoir m'apparaît illusoire. Inconscient du bonheur que j'avais durement récolté, c'est dans mon antre que j'ai créé la vie et perdu la mienne.

      Tout a commencé par la collecte de l'essence vitale nécessaire à l'animation de la matière inerte. Dans un réceptacle en verre scellé, je rassemblais ma semence et mon sang que je laissais putréfier quarante jours durant en le soumettant à la température biologique. La première étape indispensable pour forger le lien entre le créateur et la créature, insufflant dès lors une part de mon âme dans l'être à naître. Passé ce délai, la substance revêtait une forme vaguement humaine mais translucide et dépourvue de corps. Je l'alimentais alors pendant quarante semaines avec l'arcanum. Un ingrédient couplé à une formule propre aux alchimistes et que je garderais secret. C'est ainsi qu'une nuit, j'observais avec surprise mon homoncule. J'admirais sans relâche ma création, sa peau recouverte d'abcès suppurés, ses faibles membres déformés et ses yeux vitreux inanimés. Il ne possédait rien d'humain, à part peut-être l'amour que je lui donnais. Ce petit être ne respirait pas, il me fallait tenter de l'animer. Difforme et mal en point, il baignait dans ses excréments, je brisais donc consciencieusement sa prison de verre. Le prenant délicatement entre mes mains, et m'apprêtant à nettoyer son corps souillé, mon sang se mit à bouillonner et mon être tout entier vacilla jusqu'à s'effondrer sur le sol pierreux de l'atelier.

      À l'aube, je me réveillais face à mon vieux corps allongé, inerte et décédé. Apeuré et angoissé, je compris rapidement que mon âme s'était échappée pour se loger en lui, récupérant de la sorte ce dernier souffle de vie qui lui manquait. Le créateur dorénavant mort, la créature demeurait libre. Je représentais l'interdit, la bête que personne n'aurait toléré et qui devrait survivre caché pour l'éternité. Qu'était-il arrivé ? Je n'expliquais pas ce qu'il venait de se produire. Je ne trouvais aucune trace de cette force occulte dans mes grimoires ni même dans les recueils les plus anciens. Incapable de m'assimiler à lui et ne pouvant me résigner à subsister ainsi dans ce corps rabougri, je tentais de me suicider. Mais qu'avais-je donc créé ? Plus qu'un monstre, il incarnait l'immortalité. Le feu ne pouvait le calciner ; l'eau ne pouvait le submerger ; la terre ne pouvait l'ensevelir ; l'air ne pouvait lui manquer. Sa peau robuste restait impossible à blesser et il détenait la faculté d'exister sans avoir à s'alimenter. Les jours se levaient et les nuits tombaient sans que je réussisse à mettre fin à ma peine. Mon sort scellé, je me rendais à l'évidence, il ne me restait qu'à vivre dans la peur d'être capturé, malmenée et présentée tel un démon qu'on ne saurait appréhender.

      Attendant la délivrance tant escomptée, cela fait maintenant de sombres siècles que je me cache dans la profondeur des cavités. Je regrette ce désir funeste et pourtant si naturel. J'ai fauté en croyant pouvoir déjouer l'avenir. En renonçant à la mort, au néant éternel qui m'était promis, j'ai choisi la vie, ce gouffre infini que je ne sais combler. Ce don espéré est devenu une prison dont je ne peux m'échapper. Je suis condamné à vivre.


Journal de vie, témoignage d'une créature immortelle.

𝐒𝐓𝐈𝐆𝐌𝐀𝐓𝐄𝐒 (𝑅𝐸𝐶𝑈𝐸𝐼𝐿 𝐷𝐸 𝑁𝑂𝑈𝑉𝐸𝐿𝐿𝐸𝑆)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant