𝐃𝐀𝐍𝐒𝐄 𝐌𝐀𝐂𝐀𝐁𝐑𝐄

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Un récit inspiré d'une histoire vraie.


      J'étais présent cette nuit-là. J'ai observé son âme se déformer : ses membres se tordre, son corps se lacérer et ses os craquer à chacun de ses pas. J'ai regardé son sang qui coulait jusqu'à tacher les pavés du village alors qu'elle dansait. J'ai senti son odeur de rance : la moiteur de sa peau couverte de sueur brûlante et la poussière qui s'y accrochait. J'ai humé les lambeaux de sa chair qui s'infectaient sans jamais tomber. J'ai entendu ses paroles m'appeler : ses murmures réconfortants, sa profonde douleur puis ses cris enragés. J'ai écouté son rythme lancinant, son dernier souffle quand elle chantait. Cette nuit-là, j'aurais aimé qu'elle me touche et qu'elle me prenne. Non pour supporter les jours qui me restent mais pour connaître la douceur de ses caresses. La mort a emporté les villageois, elle m'a oublié ou simplement épargné. Ne me demandez pas pourquoi, priez plutôt pour moi afin qu'elle revienne m'enlacer dans ses bras maigres et glacés.

      Sur la place au milieu du village ; enfermé et les poings liés ; patientant depuis des semaines dans mes excréments ; mon corps nu et souillé se voyait refuser l'accès à la liberté. Exposé tel un trophée, je représentais la victoire d'une justice face à la démence d'un homme endetté. Un exemple à ne pas suivre et une vie dont il fallait se méfier. Je détestais les ricanements de la journée quand, se donnant à cœur joie, ils imaginaient comment je pourrais être exécuté : il sera écartelé ou brûlé vif, peut-être décapité ou même éviscéré. Moi-même, je ne savais pas le destin qui m'était réservé, mais les entendre parier sur mon supplice m'atteignait davantage que le sort qui me serait asséné. Ma souffrance découlait de ma honte, et leur cruauté ne valait pas mieux que celle dont j'avais pu succomber. Je pensais qu'un jour, ils le payeraient. J'eus la chance d'y participer et le spectacle fut d'une grande beauté.

      Noire et sans lune, la nuit accueillait une brume dense qui tapissait les étroites ruelles du village. Il n'y avait plus un bruit dans les chaumières ni même une seule lueur aux fenêtres. Leurs corps immobiles dormaient paisiblement ; leurs esprits en rêve ne pouvaient imaginer le cauchemar qui se préparait.

      Dans ma prison de fer, l'humidité de l'air s'engouffrait entre les barreaux jusqu'à tremper mes plaies infectées faites le jour même. Leurs insultes et leurs regards avaient été aussi puissants que leurs jets de pierres qui m'avaient écorché la peau. Blotti dans la boue, accroupi je tentais de me reposer un peu quand une odeur de sang s'infiltra dans mes narines et remplit dans mes poumons. Il m'était impossible de la voir mais les mouvements de la brume trahissaient sa présence. Je sentais qu'elle venait à moi lorsqu'une lanterne s'éclaira derrière elle et fit apparaître son ombre sépulcrale. Elle se déplaçait lentement, sa silhouette floutée se dessinait au fur et à mesure qu'elle s'approchait. Sa démarche s'apparentait à un fluide fragile et gracieux dans le brouillard qui nous entourait. Son corps mince se déhanchait et ornait une somptueuse robe sombre en dentelle qui couvrait ses poignets et son cou. Ses bras désarticulés serpentaient ; ses mains et ses doigts ondulaient. Ses jambes nues et cabossées traînaient ses pieds ensanglantés qui raflaient les pavés. Elle arborait un large sourire, et à chacun de ses pas sa nuque vrillait, sa poitrine se bombait et sa tête se balançait. Ses cheveux humides, courts et noirs recouvraient ses joues, certaines mèches caressaient même ses petites lèvres violacées. Son teint pâle ne la rendait pas moins séduisante, j'oserai dire qu'elle me plaisait particulièrement. Je ne ressentais ni la peur ni le dégoût, mais plutôt une forme d'admiration, un désir malsain pour cette femme en transe. J'enviais sa liberté malgré son apparence morbide. Elle colla tout son corps contre ma geôle et passa son visage à travers les barreaux. Ses yeux vitreux me fixèrent, et sans un mot, elle m'ordonna d'approcher. Obnubilé, j'acquiesçai et je m'exécutai sans succès, retenu par mes chaînes qui acéraient mes poignets. Je saisis alors sa déception de ne pas pouvoir me toucher, et sa rage fut immédiate. Elle ouvrit grand la bouche et laissa s'échapper un cri qui fracassa le silence. La brume disparut soudainement sous son souffle et les toutes lanternes de la place s'illuminèrent en même temps. Le village se réveilla en sursaut et les premières lampes à huile ne tardèrent pas à faire leurs apparitions.

𝐒𝐓𝐈𝐆𝐌𝐀𝐓𝐄𝐒 (𝑅𝐸𝐶𝑈𝐸𝐼𝐿 𝐷𝐸 𝑁𝑂𝑈𝑉𝐸𝐿𝐿𝐸𝑆)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant