« Quelle est la différence entre monstre et humain ? »
Lors de sa livraison, Eve s'attendait à tout sauf à être emmenée par les Ratri. Elle qui croyait être sauvée déchanta bien vite lorsqu'on lui expliqua le pourquoi de sa présence à Lambda.
Son in...
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— Eve ! cria Isabella à travers l'étage. Maman te demande !
— J'arrive !
Eve soupira, refermant son livre dans un claquement sec, restant allongée parmi les coussins de la mezzanine de la bibliothèque de l'orphelinat. Maman Sarah qui la demandait soudainement, elle ne voyait qu'un message : c'était son tour. Eh bien... Cinq ans après la visite de James, la voilà qui s'en allait. Il tenait sa promesse, celle de la sortir de là.
Elle descendit de la mezzanine et alla ranger le livre, passant une main dans ses cheveux courts. Elle se dirigea vers le bureau de Maman, évitant les petits qui jouaient à chat à l'intérieur à cause de la pluie. Eve toqua avant d'ouvrir la porte, sans attendre d'avoir été invitée à entrer, un sourire aux lèvres.
— Tu m'as appelée, Maman ? fit-elle en penchant la tête sur le côté.
Sarah déglutit difficilement. Il lui était impossible de regarder cette enfant dans les yeux tant elle ressemblait à une Ratri. Mais c'était impossible, non ? Pourquoi une descendante des Ratri serait-elle dans un troupeau de bétail ?
— Oui, répondit l'adulte. Tu as été adoptée ! C'est une bonne nouvelle, non ?
— C'est Monsieur James qui m'a adoptée ?
En entendant ce nom, la jeune femme se figea avant de vite se reprendre.
— Pourquoi t'aurait-il adoptée, ma puce ?
— Il me l'a promis, répondit simplement la puce en question.
Sarah n'eut le temps de contrôler son expression. Qu'est-ce que ce traître avait bien pu dire à la jeune fille lors de sa visite, il y a cinq ans ? Eve ne perdit pas son sourire, laissant Maman digérer l'information. Tout se passait exactement comme James Ratri - ou William Minerva - l'avait prévu il y a des années.
— Promis ? répéta l'adulte. Il t'a promis de venir te chercher ? Mais ma puce, Monsieur Ratri est mort...
Eve encaissa le coup et baissa la tête, cachant son expression à Maman. Bon, Minerva était mort, soit. Il faudra faire avec. Mais ça faisait si mal de voir ses espoirs anéantis, balayés d'un revers de la main comme s'il s'agissait de reliques inutiles. Ravalant ses larmes, la jeune fille releva la tête d'un coup, prenant l'air peiné de circonstance.
— Ah bon..? fit-elle en posant une main sur sa poitrine, froissant sa chemise. C'est dommage... J'espérais tellement le revoir... Mais c'est vrai qu'il avait l'air malade lorsqu'il était venu.
— C'est malheureux qu'il ait succombé à sa maladie... confirma Sarah, se jetant tête la première dans le mensonge offert par l'orpheline.
Cette dernière retint son sourire devant celle qui lui mentait yeux dans les yeux, sans sourciller. Sans regretter. L'adulte n'avait, décidément, aucun scrupule pour garder le secret en place. Eve se ferait donc une joie de la surprendre lors de sa livraison.
— Je partirai quand..?
— Demain soir.
— D'accord, lâcha l'enfant avant de sortir de la pièce, tremblante.
Eve parcourut le couloir en tremblant, les jambes en coton et l'esprit obscurci par la peur. Pourquoi ? Comment ? Quand ? Tant de questions, si peu de réponses. Tout se chamboulait dans sa tête. Qu'allait-elle devenir si Minerva ne pouvait plus la cacher au point B06-32 ?
La blonde s'écroula au tournant, une main sur le mur, l'autre froissant sa jupe tandis que des larmes perlaient au coin de ses yeux. Tout son corps tremblait de peur, elle avait même l'impression que son cœur allait exploser.
— Je ne me croyais pas si attachée à la vie... pensa-t-elle en tentant de se relever.
— Eve ? Pourquoi tu pleures ? demanda Leslie qui venait de la trouver.
Le petit garçon, d'à peine un an plus jeune, la regardait d'un air peiné, ses petites mains de musicien prêtes à essuyer les perles d'eau salée qui coulaient sur les joues de sa grande sœur. Eve sourit et lui ébouriffa les cheveux en essuyant ses larmes.
— T'en fais pas, Leslie, ce n'est rien, le rassura son aînée. Je pleure juste sous le coup de l'émotion !
— Et c'est une mauvaise chose..?
— Quoi ? Non ! Pleurer, ça fait du bien parfois, ça libère, ça aide à exprimer quelque chose sans les mots. Et là, mes larmes expriment de la joie, de la surprise ! J'ai été adoptée, Leslie !
Le visage du garçon s'illumina tandis qu'il retrouvait le sourire en câlinant sa grande sœur avant de filer à la recherche d'Isabella pour lui dire. Quelle belle menteuse elle faisait... Heureuse d'être adoptée ? Tu parles ! Elle détestait plus que tout d'être livrée. Mais quelque chose clochait... Pourquoi la livrer alors qu'elle a d'excellentes notes ? Pourquoi la livrer alors que son cerveau pourrait être encore plus délicieux à ses douze ans ?
Au repas du soir, Eve ne cessa de sourire, laissant Maman annoncer la nouvelle en la tenant par les épaules, comme pour l'empêcher de fuir. Où est-ce qu'elle irait ? Elle était condamnée dans tous les cas. Alors, elle joua la comédie, laissant les enfants se réjouir pour elle et pleurer pour son départ. Que pouvait-elle faire d'autre ?
Lorsque Maman la lâcha enfin, la jeune fille fila s'asseoir entre Leslie et Isabella qui lui sourirent avant de commencer à manger. Eve prit son temps pour manger, réfléchissant à comment choquer Maman pour qu'elle fasse davantage attention à l'avenir. Après tout, Sarah ne voulait en aucun cas que sa marchandise ne découvre la vérité derrière Grace Field House.
Pendant que les autres faisaient leurs devoirs ou jouaient avec les petits avant d'aller au lit, Eve préféra aller lire dans la bibliothèque, seul lieu de l'orphelinat où elle se sentait bien. Arrivée en haut de la mezzanine, elle balaya les coussins d'un revers de la main avant de défaire discrètement quelques planches pour accéder à sa cachette. Elle se pencha et fouilla discrètement avant de sourire en attrapant son carnet, celui reçu par Minerva, cinq ans plus tôt. Aussitôt, la blonde se dépêcha de remettre les planches et les coussins en place.
Elle glissa le carnet sous sa chemise, le coinçant dans sa jupe. Sa surface était froide, son corps était chaud. Un frisson la parcourut face à ce contraste de température.
— A présent, j'ai toutes les cartes en main... murmura-t-elle avant de filer se laver et se coucher avec les autres.
