Les coudes posés sur la table et les yeux fermés, je me masse délicatement les tempes ; ma tête va exploser, c'est une certitude ! Je n'avais jamais expérimenté de speed dating, je sais à présent pourquoi. Devoir répondre aux mêmes questions, encore et encore, se forcer à sourire, à s'intéresser à mes « courtisans »... tout ce cirque de la séduction me fatigue. Je parviens à me préoccuper avec sincérité de mes patients, cela est d'ailleurs une des conditions sine qua non pour exercer mon métier, mais je me rends compte que cette aptitude a de plus en plus de mal à se frayer un chemin dans ma vie sentimentale.
— Tu ne crois pas que tu surjoues un peu ? me lance Mélanie.
Je rouvre les paupières, mon amie sirote un mojito tout en me dévisageant comme le ferait une mère avec son enfant qui l'aurait déçue. Plus les entrevues s'enchaînaient, plus j'apercevais son sourire se faner. Selon elle, je n'y ai pas du tout mis du mien en étant la plupart du temps trop froide.
— J'aurais aimé t'y voir, tiens, bougonné-je. Ce n'est pas humain, ce genre de méthode, ça devrait être assimilé à de la torture !
— Si tu avais joué le jeu au lieu d'avoir l'air de t'ennuyer sec, ça se serait sans doute mieux passé.
— Ce n'est pas l'envie qui me manquait de partir en plein milieu. Si je suis restée, ça prouve bien que le jeu, je l'ai joué, objecté-je.
— Tu parles, je ne t'ai quasiment pas lâché du regard et tu n'as presque fait qu'écouter.
— Et alors ? Écouter les autres, c'est mon métier, je te rappelle.
— Arrête, Sib, tu sais très bien ce que je veux dire. Comment peux-tu voir si tu as des atomes crochus avec quelqu'un si tu ne lui poses pas de questions ?
— Oh, mais j'en ai posé des questions, m'écrié-je tout en levant la main pour lister avec mes doigts. Donc, il y en a un qui a cinq chats qui dorment avec lui, un autre qui est passionné de littérature chinoise et de puzzle 3D – je cherche toujours le rapport entre les deux –, puis encore un qui adooooore la mousse au chocolat et qui m'a révélé, clin d'œil à l'appui, à quel point il aime aussi en utiliser dans les moments les plus intimes de sa vie. Je continue ?
— Non, ça ira, m'arrête-t-elle d'un geste de la main en pouffant. Mais tu ne me feras pas croire que tous avaient ce genre de délire.
— Non, c'est sûr, mais bon...
— Mais bon quoi ?En effet, quelques-uns de ces messieurs étaient très sympathiques, avec de l'humour, de la vivacité d'esprit et un physique plus qu'agréable. Notamment le beau gosse latino entraperçu à notre arrivée. César est en cinquième année de médecine et a donc... vingt-trois ans. Alors OK, je suis la première à dire que l'âge importe peu, mais il ne faut pas abuser. Puis je me vois mal présenter à Simon un homme plus proche de son âge que du mien. Et même sans ça... bon sang, non, il ne m'intéresse pas, ni aucun autre ici !
— Attends, ne me dis rien, poursuit-elle, pas d'étincelle, de déclic ou de frisson, c'est ça ?
— En quelque sorte, confirmé-je, penaude.
Alors que Mélanie se prend la tête entre les mains, un élément me rassure : je ne ressens pas plus d'attirance pour les femmes présentes. Mon comportement en compagnie de Lila ne préfigure donc rien de plus qu'un trouble anodin. Cette nana est une experte dans l'art de la provoc et, n'ayant pas l'habitude de ce genre d'attitude venant d'une femme – encore moins parmi mes patientes –, j'ai été déstabilisée, c'est tout.
Mon apparition ici m'aura au moins permis d'éclaircir ce point.
— Alors, Sibylle, comment ça s'est passé ? m'interroge Isabelle, arrivée à notre table.
Mélanie mime le dégoût en faisant semblant de mettre deux doigts au fond de sa gorge, ce qui ne manque pas d'intriguer la maîtresse des lieux.
— Tu as eu des soucis ? s'inquiète-t-elle donc.
— Non, non, aucun, la rassuré-je, Mel a juste parfois tendance à exagérer, tu la connais comme moi. Tout s'est très bien passé et l'organisation était parfaite, puis ton établissement est magnifique, ajouté-je avec sincérité.— D'accord, c'est très gentil, merci. Quelque chose me dit qu'un « mais » ne va pas tarder à arriver, devine Isabelle avec un sourire en coin.
— Madame n'a pas eu d'étincelle, de déclic ou de frisson, énumère Mélanie d'une voix lasse.
— Ah, ce genre de chose ne se contrôle pas, malheureusement ! s'exclame Isabelle dans un petit rire.
— Enfin quelqu'un qui me comprend ! m'extasié-je en joignant les mains.Mélanie me tire la langue, je lui adresse une grimace moqueuse alors qu'Isabelle me tend une enveloppe.
— Tiens, je te donne quand même le nom des hommes qui aimeraient te revoir. Tu as eu un joli succès !
— Oh... bien, merci, acquiescé-je, gênée, en récupérant un pli que je ne compte clairement pas ouvrir.— Si, malgré tout, tu changes d'avis, il te faudra t'inscrire sur Love for All pour les contacter, précise-t-elle.
— Ce n'est pas au programme, mais je note. Merci, Isabelle.
— Profitez bien du reste de votre soirée ! Bye, les filles !Alors qu'Isabelle file, Mélanie me considère, bras croisés.
— Quoi ? demandé-je.
— Je cherche ce que je vais bien pouvoir faire pour te dénicher un homme, souffle-t-elle presque pour elle-même.— Écoute Mel, ça viendra quand ça viendra.
— Et si ça ne vient pas, tu vas créer un blog sur le net et devenir testeuse de vibro ?
— Voilà une reconversion rêvée !Je maintiens son regard quelques secondes, puis nous éclatons de rire toutes les deux.
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Essenti'elles - Floyd Geable
RomanceQuand le père de Lila, alcoolique et absent depuis toujours, lui demande de l'accompagner à une thérapie pour combattre son addiction, elle ne s'attend à rien et certainement pas à avoir un coup de cœur pour la psychologue en charge du groupe. Comme...