— Va m'attendre tout de suite dans mon bureau, siffle-t-elle avant de disparaître.
— Merde, tu vas prendre une soufflante ! me lance une Jeanne hilare. Avant d'y aller, tu peux juste me dire si l'article te convient comme ça.
Après une rapide lecture qui s'avère concluante, je file vers l'antre de ma boss. L'heure sur mon téléphone indique que le rendez-vous avec mon père me tend les bras. J'aurais presque envie que Valérie me prive de pause-déjeuner pour m'être donnée en spectacle...
— Tu es une véritable calamité, tu le sais au moins ? gronde ma patronne en déboulant dans la pièce.
— Moi aussi, je t'aime ! ironisé-je.
— Il n'y a vraiment pas matière à rire, Lila. Provoquer de cette manière une personne qui possède le pouvoir de vie ou de mort sur chacun de nous n'est pas très malin.
— De suite, il faut que tu dramatises tout, je ne l'ai pas insulté non plus...
— Encore heureux ! s'exclame Valérie en s'affalant dans son fauteuil. Et la prochaine fois que tu modifieras le planning, pense au moins à me prévenir.
— Oui, désolée pour ça, j'ai zappé. Ce n'est plus Coco, la dir pub ? me renseigné-je en m'asseyant sur un coin du bureau.
— Prends une chaise comme tout le monde et vire tes fesses d'ici, sale gosse !Je glousse alors que j'évite une main volante.
— Coco a trouvé un poste à Londres, si tu lisais les notes que j'envoie par e-mail, tu le saurais.
— Et donc, c'est l'autre coincé du cul, son remplaçant ?
— Voilà.
— Bah je ne l'aime pas !
— Tu devrais, car il aura son mot à dire le jour où il sera décidé si oui ou non, on te donne ma place.
— J'adore ses fringues, me ravisé-je avec un grand sourire. Je croyais que c'était déjà acté.
— Rien n'est acté tant que rien n'est signé, aussi bien pour toi que pour moi. Ça bouge beaucoup au sommet de la pyramide depuis quelque temps, il y a de nouveaux actionnaires qui ont, également, leur mot à dire. C'est pour ça que je te demanderai de bien vouloir la jouer fine.
— Ça tombe bien, finesse est mon deuxième prénom !
— C'est ça, fais la maline ! En attendant, si tu me refais un coup comme ça, je t'envoie en déplacement dans le trou du cul du monde, pigé ?
— Oui, cheffe ! m'écrié-je en me mettant au garde à vous avant de rire.Valérie doit quitter ses fonctions de rédactrice en chef pour être propulsée directrice de publication au sein de l'un des nombreux médias du groupe. Je n'ai jamais caché mon ambition de la remplacer un jour – et même plus, le moment venu – et je me suis toujours défoncée pour prouver que j'ai les épaules pour ce poste.
Mes relations avec les précédents rédacteurs en chef ont parfois été houleuses, tandis qu'avec Valérie, ça a très bien matché dès le départ. Elle a, non seulement, su me donner les clés pour m'améliorer, mais aussi me laisser la liberté nécessaire pour me permettre de m'épanouir et bosser efficacement. Les audiences parlent pour moi, elles n'ont jamais été si élevées, raison pour laquelle ma candidature à son remplacement a été en partie validée par le comité de direction, même si elle n'est apparemment pas encore officielle.
— Vraiment, Lila, insiste-t-elle, il faut que tu apprennes à y aller mollo sur le sarcasme. Tu possèdes toutes les qualités pour réussir, mais ta propension à t'opposer à la hiérarchie ainsi que ta langue parfois un peu trop pendue pourraient te jouer de sales tours.
— D'abord, je m'oppose à la hiérarchie uniquement lorsqu'elle est incompétente, précisé-je. Ensuite, par rapport à l'époque de ton arrivée ici, tu reconnaîtras quand même que j'ai tiré le frein à main.
— C'est vrai, mais tu dois encore faire des efforts.
— Ouais...
— À propos d'effort, comment ça se passe avec Jeanne ?— Elle est très douée, ta gamine, elle apprend vite, m'enthousiasmé-je. Elle me fait parfois penser à moi dans son raisonnement, ce qui est plutôt une bonne chose.
— Si je comprends bien, tu t'ériges en modèle. Ta tête passe toujours les portes ? raille-t-elle.
— La tête, ça va, mais je dois changer de chaussures toutes les semaines ! m'esclaffé-je. Non, vraiment, Jeanne est au top, je suis contente de l'avoir dans ma future équipe.
— Tant mieux, je suis heureuse qu'elle ait trouvé sa place, car sa dépression lui a fait beaucoup de mal et elle m'a fait peur. J'ai même craint le pire dans les moments les plus difficiles.
— Tu peux être rassurée. Donc, je ne suis pas punie de déjeuner pour avoir un peu bousculé l'autre truffe ? tenté-je sans grande conviction.
— Ça ira pour cette fois, rigole Valérie.
— Sûre ?
— Pourquoi tu veux à ce point être punie ?
— Je dois grailler avec mon paternel, soufflé-je, démotivée.
— Ah oui, tu m'en avais parlé ! C'est donc aujourd'hui.Quand je dis que j'ai très bien accroché avec ma cheffe, ce ne sont pas des paroles en l'air. Hors famille et amis très proches, Valérie est la seule personne à connaître certains détails de ma vie. Elle sait mettre en confiance et surtout écouter.
— Essaie de faire abstraction du passé et donne-lui sa chance, me conseille-t-elle.
— Je vais voir ce que je peux faire, bougonné-je en me levant. Merci, Val, à tout à l'heure.
— Bon appétit, Lila.Pour ça, ce n'est pas gagné...
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Essenti'elles - Floyd Geable
RomantizmQuand le père de Lila, alcoolique et absent depuis toujours, lui demande de l'accompagner à une thérapie pour combattre son addiction, elle ne s'attend à rien et certainement pas à avoir un coup de cœur pour la psychologue en charge du groupe. Comme...