24 - On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre

268 42 115
                                    

Jimin était étendu en étoile de mer sur son lit. La chaleur du dortoir était étouffante et les mouches - ces petites saletés qui bourdonnaient près de ses oreilles - accentuaient son malaise. Mais tout cela ce n'était rien comparé à l'angoisse qui le consumait de l'intérieur.

La phrase de Jungkook résonnait dans son esprit : "Meonville va être plongée dans une terrible obscurité." Un avertissement pareil, et en plus prononcé par quelqu'un qui se disait vampire, ça ne lui laissait rien présager de bon.

Il fixait le plafond, cherchant désespérément un répit dans les craquelures et les tâches d'humidité qui formaient une constellation étrange. Il la nomma "l'astronomie des désespérés". Puis il se redressa brusquement. Peut-être que la "terrible obscurité" dont parlait Jungkook était une métaphore pour signifier que la ville allait s'éteindre. Peut-être que sans vaches et leur sang, il y aurait une immense coupure de courant. Non, c'était absurde... mais dans cette ville, qu'est-ce qui ne l'était pas ?

Il se rallongea, écrasé par la chaleur. Il n'avait pas imaginé l'Obscurité si moite et chaude, si tant est que la météo était de mèche avec elle. Il écouta le souffle de ses camarades endormis, jalousant leur capacité à plonger dans les bras de Morphée alors que lui, il ne pouvait pas fermer l'œil, ses paupières clignotaient à peine. Celles-ci s'ouvrirent en grand quand son esprit fomenta une autre hypothèse tordue : Si le sang de vache manquait, peut-être que les trois frères allaient se rabattre sur celui des ouvriers.

Jimin secoua la tête, essayant de chasser les mouches et ses pensées aussi terribles que délirantes. La chaleur faisait fondre son cerveau, le plongeant dans un état de paranoïa exacerbée. Il devait se ressaisir. Mais comment pouvait-il rester calme ? Ce n'était pas que la discussion qu'il avait eue avec Jungkook qui le perturbait. Il y avait aussi cette foutue chaleur, les insectes envahissants, le silence de mort qui régnait à Meonville, l'abattoir fermé, le manque d'infos et le malaise qui grandissait en lui sans qu'il ne sache de quoi il en retourne.

Il pensa à Tae, à Yoongi, à Billie. Est-ce qu'eux aussi ressentaient cette pression, cette angoisse omniprésente ? Ou bien était-il le seul à sombrer ? Peut-être que c'était lui, le problème, la mouche dans le lait. Une de ces petites bêtes infernales se posa sur son front, et il la chassa d'un geste agacé. Ses propres spéculations l'épuisaient. Il finit alors par fermer les yeux afin de chercher un semblant de paix, et sombra dans l'obscurité sous ses paupières.

Jimin était confiné dans cette maison qu'il haïssait de toutes ses tripes, enfermé dans un cauchemar sans fin et privé d'école depuis son arrivée. Il faisait des leçons seul, dans une solitude glaciale, quand son oncle, cette ordure, lui annonça sans aucune douceur le suicide de sa mère.

C'était peu de temps après que son frère et Myung-dae soient allés lui rendre visite, sans lui, à la prison pour femme. Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il y avait un lien, que sa mère ne s'était pas donnée la mort par hasard, que son oncle et Minjun y étaient certainement pour quelque chose.

Les larmes coulaient sur son visage, brûlantes de chagrin et de rage. Myung-dae, cependant, se montra impitoyable, lui ordonnant de cesser de pleurer, qualifiant sa mère de "salope" sans le moindre égard pour ses émotions d'enfant venant de perdre sa maman.

– Mauviette ! Pleurnichard ! l'insultait-il.

Et Minjun l'imitait. Il venait lui aussi de perdre sa mère, mais agissait comme si cela ne le touchait pas, son visage impassible, ses yeux froids. Mais Jimin revoyait le sourire chaleureux de sa mère, la lumière dans ses yeux lorsqu'elle le serrait dans ses bras, la douceur de ses caresses lorsqu'il pleurait. Ces moments précieux se heurtaient brutalement à la réalité cruelle de sa mort. Il hurla à s'en arracher les cordes vocales. Son oncle et son frère entreprirent de le faire taire.

Les jours sang : l'abattoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant