Prologue

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Vous connaissez peut-être la désastreuse légende de Cassandre, fille de Priam, le roi de Troie. Convoitée par de nombreux princes à cause de sa beauté, elle passa son enfance dans un palais à grandir entourée de serviteurs et de ses frères et sœurs la mettant toujours à l'écart. Dans les versions les plus anciennes et les plus répandues du mythe, Apollon tombe amoureux d'elle et pour gagner ses faveurs il lui donne le don de prédire l'avenir. Mais lorsque Cassandre rejette ses avances, sa colère n'a pas de limite. Ne pouvant pas défaire le don divin qu'il lui a offert, il décide de la maudire en lui crachant dans la bouche ; plus personne ne croira les prédictions de Cassandre, pas même ses plus proches amis ou sa nombreuse famille, composée de multiples frères et sœurs dont Hélénos, son frère jumeau, qui, dans certaine légende possède comme elle, le don de prophétie. Alors que sa mère était à nouveau enceinte, Cassandre lui prédit que cet enfant fera périr Troie. A sa naissance, pleins de culpabilité ses parents prennent la dure décision d'abandonner leur fils Pâris, frère de Cassandre loin de la cité. Lui qui, plus tard, tombera amoureux de Hélène à son retour de Sparte et causera la perte de Troie. Cassandre est destinée à ce que chacune de ses nuits soit hantée par d'horribles cauchemars prémonitoires, sans que personne ne la prenne au sérieux. Elle a été toute sa vie l'oiseau de mauvais augure. De multiples histoires existent sur comment s'est achevée la vie de Cassandre. Mais ce qui est sûr c'est que toutes ces versions finissent mal. Elle finit exécutée, violée, enfermée ou torturée, après avoir vu la totalité de sa famille massacrée.

Elle s'est toujours sentie différente, dans la lune, à poser trop de questions, sans jamais obtenir de réponses.

Mon enfance a été bercée par la mythologie grecque et en particulier le récit de Cassandre, mon nom étant le même que cette fille, décrite comme la plus belle de Troie mais la plus malheureuse. Nos seules différences sont que personne ne connaît mes capacités de prédictions et que je n'ai qu'un frère, qui ne partage pas mon don. Car oui, je vois en rêves des choses se réalisant dans le futur. Mon père est un riche avocat, ma mère une violoniste célèbre, on pourrait se dire que je n'ai pas de raison de me sentir aussi désespérée que la Cassandre d'antan. Cela peut paraître sympa au premier abord de savoir à l'avance les résultats des contrôles et l'issue du jugement des clients de mon père. Mais contre toute attente les réveils dans l'obscurité et les nuits blanches ne sont pas une partie de plaisir. J'ai toujours admiré la Cassandre des légendes, dans certaines, forte, dans d'autres, à la merci de tous les hommes. Je me reconnais en elle, même si elle n'a sûrement jamais réellement vécu.

Je me rappelle encore la première fois que j'ai rêvé, la nuit avant l'anniversaire de mes 7 ans, j'ai vu dans ce rêve mes parents me tendre un ours en peluche. Le lendemain j'avais le doudou dans mes bras, son pelage doux et ses yeux attendrissants étaient réels. Je n'ai réalisé que des mois plus tard après que les rêves aient continué, que ce n'était pas une coïncidence et que mes visions de la nuit étaient bien l'avenir. Un jour, j'ai déniché un livre racontant l'histoire de Cassandre dans la bibliothèque de ma mère. J'ai de suite fait le parallèle et pensé qu'il s'agissait de moi. J'ai tenté de convaincre mes parents pendant longtemps. Mais tous les enfants mentent à cet âge, qui croirait une gamine criant à longueur de journée qu'elle est une prêtresse de l'antiquité ? J'ai longtemps cru être sa réincarnation ou une de ces descendantes, n'étant même pas certaine de la véracité de la légende. Une fois les pleurs et l'acceptation passés je compris qu'il n'y avait pas de retour en arrière et que jamais plus rien ne serait pareil. J'ai arrêté de vouloir convaincre ma famille et je ne leur en ai plus jamais parlé depuis. Cela fait maintenant dix ans que je porte ce lourd secret. J'ai failli craquer plus d'une fois, mais je me répète que c'est mieux comme ça, que dans tous les cas personne ne me croirait, mais pas parce que je suis maudite comme la mythique Cassandre...mais plutôt parce que la magie n'existe pas dans mon monde. Comme on dit, à force de répéter un mensonge on finit par y croire.

Je ne fais plus confiance, j'ai appris à mes dépens que même les gens que vous croyez les plus fidèles peuvent retourner leur veste. Je me suis interdit d'aimer durant des années, l'amour avec mon don devient rapidement de la méfiance. Mais comme tout le monde, un jour j'ai croisé un beau regard et j'ai rompu ma promesse. J'en avais marre que cette malédiction dicte ma vie alors j'ai sauté le pas. La première fois ou je suis tombée amoureuse, je me suis rendu compte à quel point cela nous rendait vulnérable et aveugle. Je les ai tous vus me trahir, me tromper avec mes pires ennemies ou mes meilleures amies. Il n'y a que Lucilia que je sais loyale, et sur qui je peux compter, on se connait depuis douze ans et malgré nos crises d'adolescence notre amitié a subsisté. C'est la seule à qui je pourrais parler de mon don, même à mes parents je ne fais pas autant confiance, je n'ai jamais été proche d'eux.

Je me suis longtemps isolée face à ce pouvoir presque imaginaire demandant trop de sacrifice et de responsabi­lité pour une jeune enfant. Pour pallier cette solitude j'ai commencé à lire, énormément, des légendes, des enquêtes, du fantastique, des documen­taires, je me passionnais pour la lecture un peu plus à chaque mot, page et ouvrage que je finissais.

J'oublie parfois cette malédiction, et puis un de mes présages devient réalité et je redescends sur terre, sors de mes rêveries et du monde de barba papa que je me suis inventé pour survivre. Je me dis parfois que cela passera avec le temps, mais je dois me rendre à l'évidence, c'est irrémédiable. Je tente parfois de m'empêcher de dormir, j'ai essayé des médicaments tous plus puissants les uns que les autres. Mais les cauchemars reviennent toujours. En une décennie, je n'ai jamais compris d'où ils venaient et pourquoi ils sont apparus du jour au lendemain, j'ai arrêté de chercher à comprendre. Je me lève chaque matin, sachant déjà ce qui m'attend et que je ne pourrai pas en changer le cours.

Presque la même vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant