J'entre dans mon jardin par le petit portail blanc grinçant et ouvre la grande porte d'entrée le ventre noué et le poing si serré que je sens le pincement de mes ongles sur ma paume. Je découvre mes parents autour de la table à manger noyée de papiers administratifs.
- Bonjour...dis-je dans un souffle.
Ma mère me fait signe de m'asseoir, j'obéis et me pose sur une chaise les jambes tremblantes. Elle me tend un prospectus et prend la parole.
- On sait que tu as toujours rêvé d'aller à l'université d'histoire d'Athènes...
Mon père la coupe, impatient.
- ... On leur a envoyé ton dossier il y a quelques mois et tu as été sélectionnée pour y faire un stage aux vacances de pâques, ce qui pourrait t'amener à obtenir une bourse pour l'an prochain.
Mon visage s'illumine, les yeux pétillants d'excitation. Un rêve à portée de main, et cette fois pas celui qui me hante et me dérange. Je percute néanmoins qu'il devait s'agir de ça, le grand changement que je vois depuis quelques nuits. Le sourire aux lèvres, légère et un énorme poids désormais disparu. Nous parlons plusieurs heures du future voyage et de l'organisation. Mon père insiste bien sur le fait qu'il s'agit d'une opportunité professionnelle rare pour une jeune française comme moi. Je signe des tonnes d'autorisations et prend des notes sur le voyage qui durera deux semaines. J'ai du mal à réaliser la chance que j'ai. La nuit tombe petit à petit, je me tourne vers la fenêtre et m'aperçois que la lune est déjà levée, elle est si impressionnante, constellée de multiples cratères. Je me reconcentre, lis les dernières formalités et pars me doucher.
J'ouvre le robinet et le tourne le plus possible vers le côté chaud. L'eau brûlante coule sur mes cuisses, entaillées par une chute de vélo tardive. Cette nuit-là j'ai entrevu une mèche brune de mon premier amour. Je me suis réveillée au milieu d'une route de campagne à deux kilomètres de sa maison, mais à plus de seize de la mienne. Par chance (si on peut dire ça comme ça) mes parents dormaient à poings fermés au moment de mon retour. Je ne pus remarcher sans douleur que trois semaines plus tard, mais dormir sans peurs qu'après quatre mois. Je n'avais jamais été somnambule, les cauchemars me suffisaient déjà amplement. Et même après des années de cicatrisation, quatre grandes griffes restent ancrées dans ma peau. Je frotte mon petit bout de gel douche solide sur mes bras puis mon ventre, où se trouve une autre blessure, mais l'histoire est moins euphorique ; un hématome bleu causé par un coup violent. Le cri de mon frère attendant sa place pour la douche me sort de ma rêverie. Je finis rapidement de me savonner, me sécher et m'habiller pour laisser la place à Arthur. Je m'allonge sur mon lit et empoigne mon téléphone pour appeler ma meilleure amie. Après quelques secondes de sonnerie, sa voix résonne dans mon oreille. Je lui explique brièvement la nouvelle, elle est ravie pour moi et fière de mon ambition. Mais je sens dans ses paroles un regret de la distance qui nous séparera, l'année prochaine sera la première qu'on passera éloignées. Je finis tout de même par lui confier mes appréhensions et inquiétude. Elle me rassure comme elle sait si bien le faire.
-Tu vas vivre des trucs de fou, sortir de ta zone de confort et découvrir plein de nouvelles choses, vivre ton rêve, pouvoir faire tout ce que tu veux.
- Toi aussi tu pourrais, je rétorque
- Tu sais bien que non
Je soupire et, ne voulant pas créer un énième débat, je ne réponds rien. J'hésite à lui parler de Skye, mais trop tourmentée pour trouver les mots je m'abstiens. Après un court silence elle me souhaite bonne nuit, je fais de même et raccroche.
J'ai l'impression que l'avenir de Lucilia est déjà tout tracé. Elle est inscrite dans une des plus prestigieuses écoles d'économie-gestion du pays depuis sa naissance. Elle reprendra ensuite l'entreprise familiale, son héritage perdurant depuis des siècles. Je sais que ce n'est pas forcément le projet de vie dont elle rêve. J'ai tenté de lui faire comprendre maintes fois que ses désirs étaient plus importants que ceux de ses parents. Hélas j'ai rapidement compris que leur avis était primordial pour elle.
Après ce court appel mouvementé je m'installe sur mon bureau, attrape mon sac et en sort un cahier de math. Je commence un exercice d'algèbre, je déteste les calculs, les chiffres et les lettres quand elles sont employées pour des choses si dures, je suis plutôt littéraire, d'où mon choix d'orientation. Au bout de seulement quelques minutes je repère mon téléphone sur le bord de mon lit, c'est presque comme s'il m'appelait. Mon attention se détache peu à peu. Je finis par abandonner les formules confuses pour faire une recherche sur ma future université. Les dortoirs paraissent accueillants et bien organisés, ce sont des chambres pour deux, j'espère me retrouver avec une agréable colocataire. J'aime bien pouvoir me projeter dans les lieux où je vais dormir...et rêver. Mais je m'interroge sur les prédictions que je ferai, je ne me suis jamais retrouvée aussi loin et aussi longtemps des gens que je connais. Je jette un coup d'œil à l'heure, il est déjà tard, mon enthousiasme redescend, il va quand même falloir que je termine mes exercices. Le stage n'est que dans trois semaines, je dois travailler dur d'ici là et maintenir mes notes.
Une bonne heure plus tard j'écris le dernier mot du dernier devoir restant, Alléluia c'est fini. En rangeant mon cahier mon regard croise le clapet en plastique que j'avais réussi à sauver et le pose délicatement sur mon lit. Quel gâchis ce beau miroir, je pourrais peut-être racheter une glace de la bonne taille, mais cela va me couter cher. Tant pis, pour l'instant je n'ai pas envie d'y réfléchir. Je tire la couverture sur moi afin de la détacher du matelas. Le contact du tissu doux me replonge dans mes pensées. Athènes est la capitale actuelle de la Grèce, connue pour ses temples et son ambiance cosmopolite. J'étudie le grec moderne depuis la 4ème pour entrer à l'université nationale et Capodistrienne d'Athènes. Fondée en 1937, elle est la plus prestigieuse de Grèce et la seconde plus importante du pays. J'espère durant mon stage ou plus tard pendant mes études pouvoir visiter les sites archéologiques de Sparte ou de Mycènes.
Ménélas était le roi de Sparte au temps de la mythologie, son frère Agamemnon lui offrit Hélène, considérée comme la plus belle femme du monde. Elle devint donc l'épouse de Ménélas et la reine de Sparte. Des années après leur union et la naissance de leur fille, Pâris leur rend visite et tombe follement amoureux d'Hélène. Son coup de foudre est réciproque et les deux amants s'enfuient à Troie, la nouvelle patrie de Pâris. Sans aucun doute Ménélas ne mit pas longtemps à se rendre compte de la disparition d'Hélène et de la trahison de Pâris. Il tombe dans une colère noire et déclare la guerre aux Troyens. La prophétie eut lieu, comme toutes les prophéties, dont la seule cause est l'insouciance de Pâris. Elles se réalisent toutes, on ne peut pas empêcher le destin convenu par les dieux.
Il est minuit, mes paupières deviennent lourdes, j'ai du mal à les garder ouvertes. Je finis par m'endormir calmement, la mythologie en tête et le prénom de Pâris aux lèvres.
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Presque la même vie
FantasyCassandre à 17 ans, et depuis ses 7 ans, elle rêve, mais pas les mêmes rêves que nous. Elle rêve de l'avenir. Comme un autre Cassandre, une Cassandre de la mythologie grecque. Malheureusement ses nuits sont très agitées, ses prédictions sont floues...