Chapitre 3 :

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Elle n'arrivait plus à percevoir les clientes du cabinet de médecin de la même manière. Elle en reconnaissait certaines pour les avoir vues consulter Kyle. Certaines l'étonnaient, c'était sûr, et d'autre vraiment pas. Elle imaginait bien la vieille Caroline claquer tout son pognon dans un petit jeune tout craquant qui la rassurait. C'est peut-être ça qui leur plaisait tant. En plus d'être plutôt mignon, il se montrait à l'écoute. Les femmes paieraient cher pour que leurs mots ne coulent pas dans l'oreille d'un sourd.

Quoi qu'elle ait pu lui dire, Jessie se sentait plus légère maintenant qu'elle prenait le car pour rentrer chez elle. La séance devait avoir duré trente minutes tout au plus et pourtant, elle avait l'impression d'y avoir passé toute l'après-midi. Qu'on l'en soit témoin cela dit, elle n'avouerait jamais à Kyle s'être amusée. Que ce soit pour sa fierté, ou pour lui signaler que ce petit job avait un réel impact sur sa vie. Elle se sent plus légère alors qu'elle cherche ses clés dans son sac. Son cœur bat presque à toute allure quand elle repense au physique pas ingrat du tout de Kyle.

Sur le coup, elle se dit :

—Que ce qui m'arrive ? Je ne suis plus une lycéenne depuis longtemps !

Une adolescente ça fantasme sur sa première fois, sur le moment où elle découvrira le sexe. Jessie a passé le cap depuis bien des années.

Elle attrape son trousseau de clés et ouvre la porte. Comme d'habitude, elle a quelques heures de tranquillité avant de partir à son poste en début d'après-midi. Heures calmes ne voulaient certainement pas dire heures paresses cela dit.

Elle doit s'activer pour préparer le repas de ce soir. Elle doit vérifier sa tenue pour le boulot et lancer une lessive. À ce sujet, Jimmy se vantait :

—T'as de la chance que j'ai pu nous en payer une ! Imagine que tu devais faire sans cesse des allers-retours à la laverie !

Jessie imagine plus que bien. Là-dessus elle lui donne raison, c'est l'enfer de sortir avec son sac de linge sale et attendre dans le vacarme des machines. Quand elle repense à ça, elle songe aussi à son père qui lui disait :

—Ce Jimmy n'a aucune ambition, il va t'enfermer dans une petite vie ennuyeuse. C'est pas pour toi, Jessie. Il te faut un « vrai homme ».

Allez imaginer ce que c'était qu'un vrai mâle. Jessie laissait de temps en temps son inventivité s'épancher dessus. Mais, ça lui rappelait surtout très cruellement qu'elle ne possédait pas de mecs de ce style.

Ça existe pas ces conneries. Si elle se plongeait dans ses rêveries, elle sait qu'elle y verrait quelqu'un comme Kyle. Pas besoin de l'avoir rencontré pour que ce soit un beau brun. Elle a toujours eu une fascination pour ce genre de personne. Le type à la Damien Thorn. Bougre Dieu, si sa mère accédait à ses pensées pour la découvrir, se pâmer d'un tel personnage, nul doute, elle la jugerait d'hérétique. Tu auras ta place en enfer pour ça, Jessie. Fantasmer sur des choses inaccessibles, ça ne faisait de mal à personne, le souci c'est quand ils s'ancraient peu à peu dans le réel. Ou qu'ils le détruisaient.

Elle n'aurait jamais de beau brun de ce style, elle devait bien l'accepter. Pourtant, la pilule est terriblement amère à avaler. Elle préfère ne plus y penser alors qu'elle repasse son linge devant la télé. Encore les Jeux olympiques et ses ramifications politiques, ça commençait à devenir lourd, à force. Jessie a l'impression que ce genre de propos à tendance à se répéter, et se répétera souvent. De toute manière, l'Histoire est un infâme cycle condamné à se faire de nouveau la même chose.

C'était un peu son cas avec Jimmy. Ils se disputaient sur un sujet, ils arrivaient à un « compromis » et deux jours plus tard, son mari avait oublié ce dont il était question plus tôt. Soit son époux était doté d'un magnifique cerveau de poisson rouge, soit il avait affreusement exprès de ne pas se souvenir de choses précises. Même si ça la tuait de le dire, elle songeait plutôt à la première option. Jimmy ne serait pas le premier à faire des promesses en l'air à sa compagne. C'était douloureux, mais habituel et routinier. Quant à elle, si elle assermentait quelque chose, elle était bien obligée de le respecter à la lettre.

L'Ennuyée et le VoyantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant