L'Ennuyée et le Voyant

Chapitre 4 :

Quand on s'emmerde, le temps passe aussi rapidement qu'un escargot sur un muret. Jessie déteste les limaces et autres trucs gluants depuis sa petite enfance. Pour ceux que ça intéresse, c'est une histoire nullissime d'un garçonnet qui lui en glisse dans les cheveux. A-t-il été puni par la maîtresse ce jour-là ? Non. Parce que vraisemblablement, c'est comme ça que les marmots disent : « Je t'aime. » Pire encore, elle a été placée à côté de lui en classe après. On pourrait citer très sérieusement des propos des adultes de l'époque. Beaucoup s'accordent sur un point très douteux. Les petites calment les ardeurs masculines ou la testostérone fluctuante.

La fillette aurait tout donné pour se venger de la plus vile des façons. Forcer John à gober ledit escargot en le traitant de français. Y avait-il plus horrible comme insulte ? À cette époque, c'est ce qu'elle pouvait imaginer de pire le concernant. Son caractère revanchard ne s'est pas vraiment amélioré avec l'âge. Mais aujourd'hui, ces vengeances sont légères.

Lorsque Jimmy l'injurie, ou la blesse, elle se contente du « Traitement du silence ». Dans les pires des cas : Grève de Sexe. C'était presque vexant de voir que c'était des punitions quasiment universelles. Chaque femme de son globe devait avoir utilisé ça au moins une fois dans sa vie. Ce n'était pas de sa faute si les hommes se domptaient de cette façon. Quelque part, les femmes devaient bien posséder un joli petit fouet en cuir pour leur compagnon. Jessie avait honte de l'admettre, mais la privation de cul marchait affreusement bien sur Jimmy.

Ce dernier pensait qu'une saine routine au lit équivalait à un couple en bonne santé. Jessie n'avait jamais eu la pitié de lui expliquer que non. Parce que de toute façon, il se fichait pas mal de son plaisir à elle. Quelques gémissements bien placés, le fait que son corps réponde positivement à celui de son mari, le tour était joué. La merveilleuse nouvelle dans ce merdier, c'est que comme les mecs se concentraient sur eux, ils ne remarquaient jamais ce petit mensonge. Depuis le temps, les conjointes discutaient toujours entre elles de ce « minuscule secret ». Après tout, il était transmis de bonnes femmes à bonnes femmes parce qu'il n'y avait pas d'autres alternatives.

Souvent, Jessie entendait parler de choses inconventionnelles pour les aider. Le mot cependant était tabou. Si la rumeur se propageait, bougre Dieu, la réputation de l'épouse était foutue ! Dans son esprit, elle se le disait des fois. Sex Toy. Un petit jouet de rien du tout véritablement capable de vous faire grimper au ciel. Mieux que les mecs, plus économiques et surtout qui ne vous prenaient pas la tête. Y a des jours où elle en rêvait. Dans ces instants de fantasme, elle ne découvrait qu'une bite bien moulée. Elle s'installait dans son lit et planait carrément grâce aux mouvements de hanches de sa part. D'autres fois, elle voyait bien une jolie petite poupée bien proportionnée à poser devant la télé pour se faire plaisir en matant l'écran.

Que la communauté des cieux lui soit témoin, elle n'avait jamais sauté le pas de regarder un film à caractère sexuel, voire même sensuel. Ça faisait atrocement mal de penser que Jimmy oui. Il s'était certainement même branlé sur une brune à gros seins. Et un mec avec un beau pénis.

Lors de soirée où Jimmy devait quitter l'état, elle s'imaginait se cacher sous un manteau. Là, elle se glisse dans un vidéoclub. Elle fouine très rapidement dans le rayon des pornos. Elle attrape l'un des premiers à avoir un titre qui lui parlait. Puis, elle sort la carte membre de son époux et se barre avec la cassette. Après ça, elle passe une nuit en jouissance solitaire. Peut-être même en ayant allumé une bougie parfumée et du bon vin. Elle s'imagine presque couler toute une baignoire d'eau chaude, ouvrir la porte de la salle de bain. Puis, elle regarde le film dedans. Elle sent sa peau se couvrir de frissons tout en voyant un plaisir qui n'est pas le sien. Et après, elle apprend à se connaître. Avec un peu de compagnie, elle le consentirait presque.

S'il y a bien une chose plus tabou et imprononçable que l'infidélité, ou le coït entre époux c'est bien celui-là : Masturbation Féminine. Qu'un homme se branle, c'est pas si grave. Pour autant, une femme ? Faut pas dire de connerie, la jouissance de la femelle passe par la bite, c'est sûr. Plus encore, on peut le prouver. Quelles études le montrent ? Allez vous faire cuire un œuf, a envie de jurer joliment Jessie.

Malheureusement, les murs de l'appartement sont trop fins pour le plaisir solitaire quand que le mâle est absent. On lui rapporterait de suite. Ou on dirait pire : qu'elle a un amant. Qu'elle a mieux gémi avec lui et qu'elle a joui. La tristesse lorsqu'on vit dans ce genre de cage à lapins, c'est que la vieille du palier est au courant de tout. Et comme c'est une femme, elle a la sournoiserie de reconnaître la simulation. À certains instants, Jessie a presque envie de lui donner des cookies au laxatif. Elle est un corbeau de mauvais augure aux serres crochues. Elle adore commérer. Quand elle reçoit leur courrier par inadvertance, elle ouvre puis s'excuse. Sans préciser qu'elle l'a lu avant.

Annie et Jessie ne peuvent pas se voir en peinture. La jeune femme ignore pourquoi. Le regard de la vieille est toujours plein de jugement quand elle la croise. Ce n'est pas de la pitié, mais une dureté implacable. Souvent, Jessie se dit que c'est parce qu'elle n'a jamais épousé personne et qu'elle est sûrement vierge à l'âge honorable de soixante-dix ans. Elle doit avouer que, bien que le sexe soit catastrophique avec Jimmy, elle ne sait pas comment elle aurait fait sans. Après avoir découvert la sensation au moins une fois, impossible de vivre comme avant.

Sur les bancs de la fac, il y a toujours eu trois groupes. Ceux qui ont perdu leur pucelage au lycée, ceux qui l'ont égaré avec un ou une étudiante, ou les retardataires. Puis, plus le temps avançait, plus on les prenait en pitié.

Pour en revenir au sujet du temps qui passe, Jessie n'attend pas grand-chose des prochains jours. Quelques rendez-vous ont été placés pour Mitchell, la bouffe est plus ou moins prévue. Le seul événement qui palpite un peu son cœur, ça reste sa séance avec le pseudo voyant. Est-ce qu'il verra qu'elle s'emmerde ? Il avait l'air de s'en foutre pas mal le premier jour.

Jessie se sent tout énervée envers Jimmy d'avoir réservé deux séances sans son accord. Pire encore, il s'était montré affreusement insistant ce soir-là. Après les bavardages habituels, alors qu'il lui avait demandé une énième bière, il avait caressé son bras. Ensuite, les doigts dodus étaient remontés vers son épaule. Son autre main s'était perdue en direction de ses cuisses. Jessie avait dû opter pour un refus plutôt joueur pour ne pas le vexer :

—Mais enfin, monsieur, que pensez-vous faire ?

Elle lui avait fourré la boisson glacée dans les pattes avant de reculer. Pour autant, elle savait que ce n'était là que le premier assaut. Les hommes ne comprennent pas du tout le premier non. Même s'il est direct. Depuis le temps, Jessie avait capté que Jimmy n'était pas délicat. Qu'il ne pigeait aussi pas grand-chose à ses petits jeux. Cependant, à force de le gaver de bières, à un moment donné, il serait trop bourré pour tenter quelque chose.

Quelques années plus tôt, Jimmy l'emmenait se déhancher dans des bars branchés. Il enchaînait bien les verres d'alcool et bougeait sur le rythme de la musique. Maintenant, depuis qu'il bossait, il galérait à garder l'esprit clair après deux bouteilles. À partir de quatre, Jessie savait qu'elle aurait le champ libre pour aller se coucher tranquillement. Son mari s'affalerait dans son fauteuil. C'est principalement pour cette raison qu'elle n'oubliait jamais les packs de bières préférés de son époux. Il pouvait se plaindre tant qu'il le voulait du reste, qu'elle ait négligé une chemise, ou que la bouffe était dégueu, il buvait toujours devant la télé.

Ce soir-là, il avait imaginé avoir décroché le jackpot. Ses collègues lui avaient bien décrit de long en large la nuit passionnée qui avait suivi la consultation du petit jeune.

—Tu regretteras pas tes cinquante dollars.

Il ne vit pas passer les bouteilles, il se concentrait sur le beau sourire de Jessie. Le lendemain, alors qu'il se réveillait avec une gueule de bois, il repensait à ses cinquante dollars. Et surtout, aux vingt-cinq de la séance. Il voulait des résultats. S'il avait payé cet étudiant, c'était pour réchauffer son lit. Pas pour entendre une fois de plus les jérémiades de Jessie. Était-ce trop demander, putain ?