L'Ennuyée et le Voyant

Chapitre 7 :

—Tu déconnes, mec !

John attrape l'épaule de Kyle pour échanger un regard avec lui. Ils sont dans le camping-car moisi de ce dernier. Ils crèvent de chaud.

—Non, je suis sérieux.

—T'as proposé à cette gonzesse de te rejoindre dans cette histoire ! T'es timbré.

—Elle est douée, OK ? Vraiment. Beaucoup plus que moi. Elle pourrait m'aider là-dedans.

—Tu t'en sors déjà très bien tout seul, tes clientes te mangent dans la main.

—Oui, mais parce que je suis plutôt beau gosse.

Kyle allume une cigarette. Il s'affale plus dans sa chaise. La journée touche à sa fin. Le soleil se couche dans l'horizon. Il observe le ciel orangé, voire rouge. La chaleur commence aussi à diminuer un peu. Il se sent presque respirer de nouveau. John a enlevé ses lunettes depuis un moment, son regard noir est rempli d'inquiétudes. Il pousse un soupir :

—C'est une mauvaise idée. Et puis, elle est trop gourmande. Qu'on investisse 150 dollars, comme ça ?

—Tes parents partent pour le week-end bientôt, non ? réplique Kyle.

—T'y penses pas !

—Je te paie les 150 dollars de location. On organise la petite soirée, tu nous laisses dormir sur le canapé et je te repartage les bénéfices.

—T'es pas en l'état de me filer une si grosse somme Kyle.

Non, il n'était pas en mesure de donner ça sans se questionner. C'est énorme pour un étudiant. S'il s'y prend bien, c'est de quoi survivre deux semaines. Essence, bouffe, des sorties. Heureusement qu'il a des rendez-vous réguliers. On peut dire qu'il a trouvé comment donner envie à ces dames de revenir.

Jessie change sa façon de voir cet avenir peu scrupuleux. Jusqu'à présent, il jurait : « Tout se passera bien. Il vous pardonnera. ». Ou de quoi rassurer les mères que les examens de leurs gamins leur donnera une jolie place à l'université. Maintenant, il se rend compte que ce n'est pas assez rentable. Quand on dit que tout ira nickel, les gens ne reviennent pas. Parce qu'il leur a fait une gentille promesse, et que les belles promesses, ça ne vous aide pas à rester fidèle. Sur ce point-là, comment lui donner tort ?

Si on continue à regarder la télé, c'est parce que les journalistes jouent entre le chaud et le glacé. Entre les superbes interviews qui vous donnent envie de sourire, et celles qui vous dépriment. Là-dessus, il ne soufflait pas correctement. On peut dire qu'il est un mauvais sculpteur de verre. Et puis, Jessie parlait de grosses affaires.

Kyle a toujours eu comme défaut d'être un petit gourmand. Alors, quand on lui promet de grandes évolutions, forcément, il est réceptif. Il ne le dira pas à John, mais il apprécie sincèrement la présence de cette jeune femme. Il donnerait tout pour qu'ils bavardent ensemble jusqu'au bout de la nuit. Elle est rafraîchissante dans ce désert. Elle est différente de ses habituelles clientes. Au moins, elle sait pourquoi son mari l'a fait venir. Toutes les autres choisissent d'être naïves.

—Tu l'as déjà contacté ? finit par demander son meilleur ami.

Il l'a toujours suivi dans tous ses plans. Depuis qu'ils ont quoi ? Cinq ans. Depuis cet âge-là, ils sont fourrés ensemble à cause de trois gros crétins de la classe. Kyle se souviendrait presque avec affection comment il en est venu à défendre son ami contre des ignorants.

Ils l'ont traité de sales noms. Les professeurs n'agissaient pas. Complètement outré, Kyle s'était décidé à intervenir pour rendre la bataille plus loyale. S'il y a bien une chose qu'il déteste du plus profond de son cœur, c'est bien le racisme. Au début, il ne s'attendait pas aux conséquences de son combat. C'était simplement défendre un innocent contre de la méchanceté. Finalement, ils s'étaient liés d'amitié. Mieux encore, leur amitié avait duré jusqu'à aujourd'hui. Maintenant, les voilà côte à côte dans son camping-car qu'il avait acheté pour cinq cents dollars. Ça restait moins cher que de prendre une chambre sur la faculté. Et puis, ça lui offrait un moyen de transport tout autour de la ville.