CHAPITRE 3 : LE BETHLEM ROYAL HOSPITAL

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 Le fiacre que je pris à Baker Street à destination du Sud Est de Londres, me déposa devant les grandes grilles du Bethlem Royal Hospital. Les jardins semblaient être entretenus, laissant parcourir quelques patients accompagnés d'infirmiers malgré le froid de ce mois de novembre. Je fus accueilli par un infirmier d'une carrure de boxeur. Bien que je mesure le mètre quatre-vingt, il me dépassait aisément d'une tête. Je le suivais de l'allée centrale jusqu'au hall d'entrée. Je retirai mon vêtement pour l'entreposer au vestiaire des visiteurs et on me fouilla à la recherche d'un quelconque objet tranchant. Rien d'anormal pour le moment, étant donné les troubles mentaux séjournant en ces murs.

Nous passâmes des grilles supplémentaires, menant directement à un couloir austère. Le sol en pierre, usé par le passage incessant des pieds et des roues, craque sous mes pas. Chaque porte que nous passons est une barrière de plus entre ces âmes enfermées et le monde extérieur. Certains patients, visibles à travers de petites fenêtres grillagées sur les portes, me fixent avec des regards perdus, leurs yeux exprimant confusion et terreur. D'autres se balancent doucement, murmurant ou chantonnant pour eux-mêmes, leurs gestes répétitifs témoignant d'une profonde affliction mentale.

Les infirmiers, vêtus de blanc naturellement, se déplacent avec une efficacité froide, distribuant médicaments et ordres avec une indifférence qui me glace le sang. Étant moi-même médecin, je ne peux concevoir que l'on puisse traiter des êtres humains avec autant d'indifférence et d'irrespect pour l'âme humaine. Leurs visages sont fermés, habitués à l'anormalité de leur environnement quotidien, leur compassion érodée par l'exposition constante à la souffrance. Jamais, je n'avais été témoin de cela, pas même lors de la guerre.

Le plus saisissant fut l'intérieur de la salle commune, des patients, certains vêtus de vêtements élimés et trop grands, d'autres en camisoles de force, errent ou sont assis en silence dans des chaises roulantes, leur isolation palpable même dans cette foule. Les murs défraîchis sont ornés çà et là de dessins ou de mots griffonnés, expressions déchirantes de pensées intérieures troublées.

Le contracte entre cette institution et le monde extérieur me terrifie. Ici, l'humanité semble avoir été réduite à son expression la plus tragique, chaque patient représentant un mystère personnel enfermé derrière des diagnostics sommaires et des traitements souvent brutaux. Je percevais derrière leurs yeux, un appel à l'aide, ou bien était-ce mon empathie qui me donnait espoir...

Lors de mon passage dans les couloirs, je fus frappé par un nom sur une porte « Arthur Peverell ». Je m'approchais du grillage faisant office de fenêtre pour observer l'intérieur.

« Ne vous donnez pas cette peine Dr. Watson. Vous ne le verrez pas. Il s'assoit derrière la porte.

— Quel étrange comportement... commentais-je, soucieux de trouver des réponses.

— Je ne vous le fais pas dire ! Si c'était le seul comportement étrange qu'il avait ! Tenez, pas plus tard que ce midi, il a épluché sa pomme pour ne manger que la peau. Parfois il marche en cercle dans sa chambre pendant des heures. Et il refuse d'en sortir ! Sauf avec un autre patient. Il est fort dommage que votre ami ait perdu la raison, on aurait pu lui offrir du travail ici ! »

Je sentais mon souffle se faire plus court: Holmes avait réussi à maintenir son rôle et entrer en lien avec le jeune Arthur. Il fallait que je le vois au plus vite.

Quand je franchis enfin la porte qui mène à la salle commune où Holmes est autorisé à recevoir des visiteurs, mon cœur est lourd d'appréhension. À peine ai-je pénétré dans la pièce sombre et étouffante que mon regard trouve le sien. Holmes se tient là, plus maigre et pâle qu'à l'accoutumée, ses habits habituellement soignés désormais froissés et ternes. Malgré cela, ses yeux s'illuminent brièvement d'une étincelle reconnaissable, celle de son esprit toujours vif, en me voyant.

L'Ombre de la VéritéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant