Ombre discrète

29 3 1
                                    

Milane avançait doucement vers l'école, à une allure tranquille, l'air absent. Elle esquivait sans difficulté les obstacles. Dans un monde. Dans leur monde. Le monde des Brumeux. Une silhouette se glissa sans se faire remarquer, et sourit en voyant son amie dans sa bulle. Elle adapta son allure et dévisagea Milane tranquillement.  Elle était plutôt grande, des cheveux mi-courts brun clair, de grands yeux bleus habituellement pétillants. Puis elle commença à réviser mentalement pour son interro de maths. Lorsque les deux filles arrivèrent en vue de leur collège, Milane commençait à émerger. Elle regarda Ilnale, sourit puis soupira, et enfin grommela :

- Salut, tu es là depuis longtemps ?

- Environ 5 minutes, répondit Ilnale en prenant un air dégagé. Je suis sûre que tu étais bien entendu en train de réviser pour les maths, les puissances, etc.

Milane regarda la jeune fille fille aux cheveux noirs coupés courts, aux yeux gris perçants, qui était en train de se moquer d'elle alors qu'elles entraient dans le collège du quartier, grand bâtiment en pierre légèrement bleutée orné d'une cour en gravillons. Elle choisit de ne pas continuer le sujet.

-Tu as avancé la prophétie?

 -Un peu, acquiesça Ilnale tandis que la sonnerie stridente habituelle retentissait. Je te raconte à la prochaine récré. Alors puisque tu as si bien révisé combien fait 3 à la puissance 6 ?

-Bien trop pour moi.

Après une interro de maths et un DM de français, les deux rêveuses vinrent s'asseoir tranquillement sur un banc "au soleil" pour discuter en paix.

-"Ils seront trois, enfants des pouvoirs, à naître le jour de la nuit. Ils agiront dans l'ombre jusqu'à l'entière réalisation de la prophétie. Quand l'équilibre sera revenu, ils seront connus de tous, même des humains d'en bas, sous les nuages. Même le vent chantera leur victoire."  Tu en dis quoi?

- J'aime bien on garde ça. Mais qu'entends-tu par "ils seront connus de tous, même des humains d'en bas" ?

-Je sais pas, on avisera ?

-OK.

______________________________________________________________________

Émilien en avait assez de cette prophétie. Qu'elle soit importante d'accord, mais quand même. Ils n'étaient pas des "Réflecteurs" non plus. Heureusement,  l'artiste de niveau supérieur qui donnait cours changea rapidement de sujet. On passa au cours sur la matière, assez difficile. Il observa rapidement l'endroit où cet artiste faisait cours. Beaucoup de ses camarades était en train de sculpter des œuvres d'aspect incertain. Des tortues en création flottaient dans l'air, accompagnées par d'autres animaux, des spirales en nuage tourbillonnaient au-dessus du "sol". Émilien revint à sa propre création, une bulle légèrement bleutée contenant un feu violet tirant sur le bordeau. Il la contempla encore un instant, puis la lança en l'air. Elle vola doucement vers le sud, la direction qu'il allait emprunter le lendemain à l'aube. Demain, il allait avoir 10 ans nuageaires. L'anniversaire le plus important de sa vie. Il allait créer des êtres humains ! C'était une sorte d'examen que l'on passait dans la capitale, Eolia. Il fallait créer trois êtres de forme humaine devant un jury. On pouvait bien sur leur donner des particularités : lui avait créé un être avec des oreilles pointues et des cheveux d'un bleu changeant. Il n'était pas le premier à le passer cette année et pas le dernier non plus. Il n'y avait que lui, et Olnyce bien sur qui le passerait le lendemain. Olnyce était sa sœur, son amie. Ils avaient étaient créés le même jour par la même personne. Pendant qu'il songeait encore au lendemain, une question s'imposa doucement à lui : qu'allait-il dessiner ? Question tellement évidente qu'il ne se l'était jamais posée. Après un instant de réflexion, il décida de ne pas y réfléchir; il se débrouillait mieux quand il ne pensait pas.

Quand il sortit enfin de ses pensées, le cours était terminé certainement de puis longtemps. Seule Olnyce était encore présente, elle était assise en tailleur et le regardait avec amusement. Elle avait des cheveux blond-roux, des yeux rouges ardents, une peau orange pastel et des ongles, des sourcils et des cils couleur nuit. Elle évoquait un feu vivant, gracile et mystérieuse. Lui évoquait l'eau, avec sa peau bleu clair, ses yeux d'un bleu profond et ses lèvres vertes. Il se leva ; elle le suivit ; ils s'en allèrent côte à côte, feu et eau, vers le sud. 

Deux heures plus tard, ils s'arrêtèrent d'un commun accord sur un nuage isolé, devant la lune qui apparaissait, ayant sous les yeux un paysage de rêve. Ils s'assirent par terre et sans se concerter commencèrent tous deux à créer leur animal totem, une salamandre pour Olnyce, une tortue pour Émilien.  C'était une habitude acquise au fil du temps, car selon une ancienne légende, tu te comprendrais toi-même quand tu comprendrais ton animal. Quand ils eurent fini la forme, ils choisirent la matière puis ils leur insufflèrent la couleur. Chaque animal était le portrait de son créateur et de la figurine accrochée au cou de chacun. Cette figurine, ils l'avaient gagnée à la fin de leur  périple effectué quand ils avaient eu sept ans nuageaires.

- Tu es partant pour un concours ? Celui du repas le plus original ? questionna Olnyce.

- Mais je suis toujours partant tant que tu ne manges pas de tortue ! répondit Émilien après avoir sursauté.

- Pas de problème, ça a mauvais goût assura Olnyce en souriant devant la mine dégoutée de son frère. Tu es prêt? 3, 2, 1 go!

Émilien se lança dans une création sur le thème des vacances, avec une véritable île flottante, avec transat, une radio, espérant faire "original". Puis il se retourna vers Olnyce, qui elle aussi venait juste de terminer. Une fois encore elle l'avait de loin surpassé elle avait créé l'impossible! Elle avait sculpté un vent invisible volant sur une terre miniature avec ses nuages où il croyait distinguer une minuscule goutte d'eau et un petit feu devant le ciel et le petite lune, tout cela sous un grand soleil brillant. Émilien se demanda un instant pourquoi il n'avait pas remarqué le changement de luminosité. Comme pour répondre à sa question, Olnyce souffla sur le soleil qui cessa de briller et devint d'un jaune plus terne. Puis elle se tourna vers l'île volante bien détaillée, avec dans les palmiers des noix de coco.

-On dirait que tu as besoin de vacances, frérot, remarqua-t-elle, toute souriante. Tu veux un mars?

- Avec toi, on en a toujours besoin, marmonna le frérot sans relever le jeu de mot raté.

          


Le monde des BrumeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant