Mais ce qui fait le succès et l'originalité des lieux c'est sans aucun doute les mystérieux propriétaires.
Trois personnages surprenants, paradoxaux, inattendus.
En tout premier il y a les jumeaux, physiquement identiques, mais pas toujours. Leur apparence fluctue et se modifie selon un rythme incompréhensible pour le commun des mortels.
Puis il y a Marie Thérèse, un peu moins étrange que ces fils mais très particulière sous certains aspects.
De père, il n'y a pas, même hypothétique. Marie Thérèse est, pour ainsi dire, une mère célibataire par obligation ou par choix... mais cela, elle seule le sait.
Certains sportifs, à l'imagination trépidante, voient dans ce trio l'image du vélo parfait : un cadre profilé et solide...la mère, et deux roues bien accrochées et pas voilés....les jumeaux.
A l'intérieur du magasin, Marie Thérèse participe peu aux ventes de matériel, car sa fonction première est de nourrir les coureurs. Elle fabrique des barres aux vertus diverses et variées.
Sa recette ancestrale, inégalée et secrète répond aux états primaires que les cyclistes peuvent rencontrer ou éprouver.
Outre les trois premières barres destinées aux défaillances physiques, fringales, et coup de mou.
Les suivantes offrent un panel de promesses dignes d'un pharmacopée de sorcière :
- les quatrième, cinquième, et sixième promettent aux coureurs de maîtriser la longueur de leurs bras et de leurs membres inférieurs ainsi que leur poids et leur taille,
- la septième booste les qualités cardio-vasculaires,
- la huitième corrige l'équilibre,
- la neuvième bonifie les qualités mentales.
Et la dixième n'améliore rien. Elle est offerte si le coureur achète le lot complet.
Aucune barre n'a été prévue pour améliorer la réflexion et c'est peut-être mieux ainsi.
Ces gourmandises sont fabriquées maison dans un chaudron familial. Un condensé de protéines et vitamines concocté avec des céréales produites quelque part, des fruits récoltés ailleurs, des plantes cueillies par là, et de quelque chose en plus inventé ici. Le tout est façonné en petits carrés de 4 cm sur 4 cm précisément.
C'est la sœur de Marie Thérèse, Cunégonde de la Ferrière, Mère Supérieure de son état, qui produit l'emballage des barres carrées.
Cette dame vit dans un Monastère accroché à un petit mont situé en contre bas de celui de Marie Thérèse. En dehors des temps de prière, Cunégonde produit des hosties blanches et rondes pour les églises et d'autres décoratives et colorées pour les pâtisseries de la région. Elle utilise les mêmes ingrédients pour façonner l'emballage naturel et bio qui empaquette les barres délicieuses de sa sœur ainée.
Ces dix barres réputées malicieuses, délicieuses, efficaces et pratiques, sont donc ainsi bénies par les cieux.
Lorsqu'elle n'est pas en cuisine, Marie Thérèse, occupe une seconde fonction et pas des moindre.
Elle répare les corps fourbus et malmenés des sportifs en prodiguant des massages alternatifs et parfumés aux huiles très essentielles.
Depuis au moins...., elle pétrit les chairs souvent trop maigres, soigne un mollet jugé saignant, remet une clavicule en recherche de sa place initiale, panse un jambonneau mâché par le goudron, raccommode un nez détérioré, colle parfois une dent pas encore avalée.
Dans ces pratiques, elle est épaulée en coulisse par sa sœur qui ne doit pas approcher ces corps masculins et maltraités. Cunégonde, en plus d'être une Sainte Femme, connait l'anatomie et les méandres de l'esprit humain sur le bout des doigts.
Ces sœurs ne sont pas jumelles, mais elles ont des compétences identiques. Leur capacité à réparer les âmes perdues et à remettre sur pied les cas les plus désespérés, est reconnue par de très hautes instances scientifiques.
Les tarifs de leurs prestations sont ni moins, ni plus élevées que dans la plaine.
Parfois le prix des barres de céréales changent à la hausse en raison de la baisse de certaines pluies.
Mais personne n'oserait se plaindre. Que le ciel soit clair ou moutonné, que la neige recouvre la plaine ou gonfle les rivières, par nuit ou par jour, et depuis au moins.....Marie Thérèse et Cunégonde oeuvrent sans jamais penser au temps qui court.
Les jumeaux sont aussi présents à tout moment dans la boutique et ne chôment jamais.
Gédéon se charge des machines en souffrance : du guidon au rayon, de la chaine à la selle, tout est inspectée, bichonné. Il gonfle, rustine, huile, mesure, teste freinage et profilage, équilibre les déséquilibres, souffle l'air dans les chambres molles, et rien ne sort de la boutique sans être passé à la loupe.
Tout est réparable mais il faut aussi savoir vendre et Gédéon excelle dans ce domaine. Il est connu pour avoir marié des milliers de cyclistes au vélo qui leur était destiné. Lorsqu'un client passe la porte de la boutique Gédéon sait s'il vendra ou pas un vélo et lequel. Son expertise lui a valu nombreux articles dans les journaux spécialisés du monde entier et quelques médailles lourdent et encombrantes.
Germain, quant à lui, est un magicien qui d'un coup de baguette modifie les humeurs fluctuantes du sportif chahuté, ses pertes de confiance et le blues qui va avec. Sa solution ? La métamorphe par le style. Un cycliste bien vêtu est un homme nouveau. Certains tissus ont le pouvoir de galvaniser des mollets fatigués, un corps moulé aux endroits stratégiques pourra réveiller la confiance et l'énergie perdue. D'autres vêtements hautement techniques ont la particularité de faire apparaître de la masse musculaire là ou l'homme lambda ne verrait que de la graisse.
En styliste expert, Germain sait aussi freiner les égos trop gonflés en proposant des tenues moins profilées, plus modestes. La psychologie du cycliste étant unique et particulière, Germain a écrit une bible. Sa méthode révolutionnaire a modifié en profondeur des pratiques commerciales inappropriées.
Depuis, les vendeurs spécialisés en textile venus des quatre coins du monde participent au séminaire organisé par Germain dans le Monastère de sa tante et intitulé « La modestie vestimentaire sauve des vies ».
On y apprend, entre autre, à développer un nez d'expert qui détectera le cycliste du dimanche qui se prend trop tôt pour un demi dieu. Germain donne les outils pour parvenir avec subtilité à faire redescendre le soufflet.
Le coureur qui a affronté un monstre d'altitude sans s'arrêter pour pisser, qui a repoussé les vents contraires, vaincus la pluie glaciale, ravalée la sueurs et les larmes, croit souvent être immortel. Et lorsqu'il vient changer de combinaison, le vendeur doit savoir entendre la fierté bien légitime du cycliste tout en modérant ses ardeurs, Narcisse et Icare n'ont jamais brillé par leur intelligence.
Ici, donc, les cyclistes sont équipés casqués et intelligemment moulés. Ils sont aussi bien nourris, écoutés et dorlotés. La boutique reste ouverte non stop en semaine, en weekend et au-delà.
Toutes ces raisons, mises dans un même sac à dos, expliquent que depuis au moins.....la boutique ne désemplit jamais.
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Deux roues
Short StoryDes jumeaux et leur mère tiennent une boutique de vélos tout en haut d'une montagne. Un grain de sable va perturber leur vie, pourtant peu banale, en quelque chose de plus compréhensible.