Depuis des lustres, la partie qui se joue dans le monde s'entête à vouloir désavantager les femmes. Fort heureusement pour ces dames, l'été 2024 ne ressemble à aucun autre. L'histoire qui rechigne parfois au changement, semble vouloiraccueillir à bras ouverts ces bouleversements.
Le MeToo, un vent que certains espéraient endormi, s'invite aux festivités et souffle sa vérité. Les prédateurs, qui se croyaient à l'abris sous leur chapeau ou leur soutane, naviguent désormais à découvert. Les têtes tombent avec fracas, et à chaque roulement de tambours, les femmes relèvent un peu plus le menton.
Les monstres dévoilés questionnent bien au-delà de leurs actes, et mettent la société sans dessus dessous. Car alors, qui aimer, qui croire, qui autoriser, qui inviter, partir, rester, sur quel pied danser, etc.....
Le patriarcat en désamour, le gouvernement en fuite, plus rien, ni personne n'enjoint quiconque à garder le cap.
Embrouillés par ces questionnements existentiels, les français passent leurs vacances dans un brouillard épais. Ce trop plein de remises en question, de sport et de chaleur, perturbent l'ordre établi. Les pauvres en esprit se multiplient alors sur les plages et s'installent durablement sur le sable chaud.
Certaines pièces de l'échiquier, espèrent profiter de cette fenêtre ouverte sur l'inconnu pour s'exprimer et jouer à ne plus être ce que l'on attend d'elles.
Tenter une sortie de virage, refuser de se voir remis dans une case à chaque début de partie.
Toutes aspirent à changer les règles et rêvent tout haut ce que beaucoup étouffent encore sous l'édredon.
Déjà un cavalier, fatigué d'être trop sage, s'imagine prendre la place du fou et devenir poète ; des pions noirs, poing levé, ambitionnent à se transformer en rois lumineux ; des tours rocailleuses s'effondrent à grand bruit pour mieux sereconstruire ailleurs ; d'ici et de là, il y a des reines blanches qui épousent des reines noires ; des rois fatigués d'être en guerre qui jardinent les tombeaux des ennemis de jadis. Les pièces rêvent de révolutionner leur destin, et les cases ne sont pas en reste : de damier, elles s'alignent, se croisent, se séparent, se retrouvent, cassent les angles, adoptent les arrondis ; les noirs profonds diablement emprisonnés dans un carré parfait brisent leurs lignes, puis caressent tendrement les blancs timides pour se fondre en de doux anthracites.
Le vacancier connaît les règles immuables qui le rattraperont à la rentrée et l'installeront dans une posture annuelle de garde à vous. Retrouver sa case noire ou blanche pour qu'une nouvelle partie se joue, ne le motive guère. Couché sur sa serviette de plage, recouvert d'un indice 30, il n'aspire qu'à s'échapper....même un instant. Alors il en appelle au rêve éveillé, grimpe sur un cheval d'acier et s'élance sur l'océan en direction d'un horizon fait d'une éphémère liberté.
L'histoire se poursuit donc pendant cet instant furtif où chaque pièces de l'échiquier croient voir pointer un nouveau destin. Un joueur expérimenté expliquera que ce moment se situe très exactement entre la fin du jeu et le début d'une nouvelle partie. Alors que les pièces sont à terre, mélangées et couchées sur le plateau, elles oublient les stratégies apprises, les coups subits et les victoires collectives. C'est pendant une fraction de secondes, qu'elles choisissent une destinée. Certaines, par peur ou par flemmardise, resterons à l'identique, mais d'autres modifieront profondément leur être en vue d'une prometteuse métamorphose.
Dans la plaine, alors qu'Eugène Krapout prend du galon grâce a ce qu'il nomme « l'article de sa vie », Mirabelle Tintamarre pleure de n'avoir pu touché du doigt une gloire même éphémère. Son caractère combatif l'enjoind, entre deux sanglots, à écrire un second livre.
Son ex éditeur, pas si fou et quelque peu ruiné, lui explique qu'il faudra trouver un autre pigeon.
Cette défection n'entame pas l'ardeur de l'écrivaine. Ayant admis que son désir de vengeance, trop affiché, a eu une influence négative sur son premier ouvrage, Mirabelle Tintamarre prend le chemin d'une écriture différente. Une cousine éloignée, mais très calée en coaching personnalisé, l'accompagne vers ce changement. Malmenée par des séances de yoga acrobatique et d'hypnose inversée, l'autrice apprend avec humilité, à se dévêtir du sentiment revanchard qui l'a trop longtemps escorté.
Le 13 aout, la cousine, qui facture 80 euros de l'heure, annonce à sa patiente qu'elle peut désormais débuter son livre, à la condition de poursuivre les séances de massages péruviens pendant tout le processus d'écriture.
Mirabelle Tintamarre, qui ne tient plus en place, accepte la transaction et cours s'enfermer chez elle avec un cahier à spirales tout neuf et une batterie de stylos à pointe moyenne.
Enfin débarrassée de la cousine hippy aux pratiques plus que douteuses, l'écrivaine fête sa liberté en compagnie d'unebouteille de whisky écossais 12 ans d'âge. Un demi litre plus tard, elle décroche la photo collée sur son réfrigérateur et l'agrafe à la première page du cahier vierge. Juste en dessous elle crayonne :
« Journaliste malpoli qui m'a mise hors jeux sans même dénier me rencontrer....plutôt bel homme,... dommage (pour moi et pour lui) !».
Puis elle s'assoit et débute son premier chapitre par la transcription d'une lettre cynique destinée au journaliste en disgrâce. « Eugène Krapout, j'aurait pu vous aimer », rêvasse Mirabelle Tintamarre, « mais vous n'êtes pas un gentlemen et encore moins un cycliste ».
Tout en laissant filer son crayon alcoolisé, la romancière se promet d'envoyer une copie à ce goujat dès qu'elle en sera à la moitié du roman. Le gratte papier médiocre et curieux, elle en est certaine, ne résistera pas à l'inviter autour d'un verre. Déjà, l'autrice imagine ce rendez-vous entre deux ennemis jurés. Lui en quête d'un article sulfureux en première page de son journal, et Elle, prête à jouer de ces charmes pour soutirer de la matière au professionnel qu'il est.
Car, si l'écrivaine a réussi à se défaire de la haine qu'elle portait aux cyclistes, c'est dorénavant au monde journalistique qu'elle voue sa croisade. Son ouvrage devrait s'intituler « Rats des villes contre Rats des champs ! Guerre de pouvoir chez les journalistes français » Tout un programme ! Une polémique en chasse une autre. Et si l'écriture de Mirabelle Tintamarre laisse à désirer, cette dame a le don de placer le doigt dans l'engrenage à scandales.
Au même moment, sur le Haut Sommet, le ralentissement des ventes se poursuit. Et, étrangement, le rythme de vie de la famille paraît calé sur le reste du pays.
Mais peut être est-ce l'inverse ? Les comportements du bas, définis on ne sait quand et par on ne sait qui, suivraient t-ils les inconstances du haut ?
Les cyclistes aiment à dire que lorsque la famille empêcheuse de tourner en rond affronte ses propres perturbations, mais dans un sens inverse au reste de l'humanité, les roues du monde entier continuent de tourner en sens antinomique tout en restant sur un moyeu stable.
Quoi que l'on pense et que l'on raconte, personne ne peut nier qu'entre le 15 juillet et le 15 aout, un pays tout entier, excepté une écrivaine en herbe et un journaliste zélé, a mis la clé sous la porte, porté par l'espoir d'une métamorphose automnale.
C'est dans ce contexte que la Troisième Dame fait son apparition.
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Deux roues
Short StoryDes jumeaux et leur mère tiennent une boutique de vélos tout en haut d'une montagne. Un grain de sable va perturber leur vie, pourtant peu banale, en quelque chose de plus compréhensible.