Chapitre 13 : Liberté

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— Quoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

J'ouvre péniblement les yeux, la voix rauque. Je ne me rappelle de rien. Je reste au sol quelques secondes, et constate que ma tête tourne. Ça veut dire que j'ai fait un malaise. Je porte une main à mon front alors que les souvenirs me reviennent petit à petit.

— Ah oui, c'est vrai...

Les dernières heures me laissent avec un arrière-goût amer dans la bouche, et ce n'est pas qu'une image. J'ai littéralement le goût de sang au fond de la gorge. Je déteste ça. Je relève mon t-shirt, et malgré l'obscurité environnante, je parviens à distinguer grâce à la lumière d'un lointain réverbère que ma peau n'est pas de la couleur qu'elle devrait être. Je soupire. Je n'aurais pas dû.

— Aïe !

Il fait encore nuit. Je suis tombé juste devant le skatepark. Je n'ai aucune idée du temps qui a pu s'écouler, je sors mon portable et constate que je n'ai pas été longtemps dans les vapes. Je me redresse, mais le monde se met à tanguer alors qu'une douleur atroce m'écrase de toute part. Un cri manque m'échapper, seulement ma voix est déjà brisé de cette soirée bien trop longue. Je reprends laborieusement mon souffle, une sueur froide vint s'échouer sur mon dos, faisant en sorte que mes poils se dressent sur tout mon corps dans une vague de résidus de souvenirs. Je serre les dents, je ne peux pas rester ici éternellement, je vais finir par être encore plus malade, déjà que ça va être compliqué de demander à mon corps de me guérir correctement il n'est pas nécessaire que je lui mette en plus des bâtons dans les roues. Un hoquet se brise dans ma gorge alors que je manque de nouveau tourner de l'œil à cause de la douleur. Je claudique jusqu'à un banc. Je soupire en regrettant la structure qui me sert habituellement de lit. Je ne parviendrai pas à y monter, même si je le voulais, je peine déjà à tenir debout. Je vais devoir dormir sur ce banc, ou du moins y passer les prochaines heures, et aucune de ses deux perspectives ne m'enchante. J'aurais tellement aimé être en haut, sur la structure; au moins là-bas je suis un minimum en sécurité ! Je peux entendre quand quelqu'un tente de grimper, et je peux voir les gens arriver d'assez loin pour avoir le temps de partir.

— Oh, arrête Reki ! Ça sert à rien de râler, t'y peut rien de toute façon !

Et c'est sur ces sages paroles que je pose mon sac par terre et me sers du deuxième comme oreiller. Je m'allonge sur le banc, les jambes dépassant du mollet au pied. Les lattes de bois sont dures, presque plus que le béton, ou alors c'est seulement ma posture qui me donne cette impression ? C'est possible. Je tente de fermer les yeux pour me reposer, je suis épuisé; seulement pas moyen de cesser de gigoter. Dans n'importe quel sens mon corps me fait souffrir. Je peux presque entendre la trotteuse d'une horloge résonner dans ma tête tant je suis conscient du temps qui passe. Minutes après minutes la fatigue gagne toujours plus de terrain jusqu'au point ou j'ai envie de hurler de frustration, je serre les poings autant que je peux mais ce sentiment ne pars pas. Je le sens faire vibrer mes tripes et se répartir jusqu'à mes doigts. Je finis par me relever. Une pensée affligeante me traverse l'esprit alors que je m'assieds. J'en viens à espérer perdre connaissance. L'inconscience est une caresse bien douce comparée à la torture de l'éveil. Mes yeux se ferment presque, enfin ; mais juste avant que mes cils ne se rejoignent la supérette au coin de la rue décident d'ouvrir ses portes et d'allumer à plein régime ses néons. Je sursaute. Je fronce les sourcils.

— Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça sérieux... ?

Je me lève et fouille dans mon sac pour arracher un billet d'une liasse maintenue par un trombone tout en remerciant mon père, pour une fois. Je me dirige vers l'épicerie mais il est difficile de tenir debout. Je me tiens au mur lorsqu'il m'est possible de le faire, sinon je prends sur moi et revêtant un masque que j'espère impénétrable. Les portes automatiques s'ouvrent alors qu'un bruit de cloche retentit en même temps. Je me choisis le sandwich le moins cher du rayon avant de partir en caisse. Je ne sais pas encore si je rentrerais à la maison en revenant, il vaut mieux que j'économise un max pour pouvoir m'acheter de quoi manger au cas où. S'il y a bien une chose que j'ai retenue à force de dormir dehors c'est qu'il vaut mieux avoir une solution de secours pour pouvoir manger, parce que sinon, il y a un moment où je dois rentrer. Je paie à la caisse et pars sous le regard pesant du caissier. Je retourne sur mon banc et mange mon casse-croûte en attendant que l'heure de partir rejoindre mes amis arrive. Au bout d'une heure, ou peut-être deux, je me lève de ce banc pour de bon. Alors que je roule jusqu'au resto de Joe j'essuie la sueur qui ruisselle le long de ma tempe. Je crois que ma fièvre a empiré. Je soupire, cette accumulation est en train de venir à bout de mes forces, mais la perspective de pouvoir prendre une pause me soulage un peu de ce poids. Je veux dire une pause ! Une vraie pause ! Une semaine entière ou mon père ne pourra rien me faire ! Ni me retrouver au coin d'une rue, ni m'attendre à la sortie des cours ! Je crois que ça ne m'est jamais arrivé. En fin de compte ce n'est même pas je crois, j'en suis sûr. J'ai hâte de partir. Je n'ai jamais eu à contenir autant d'impatience.

ViolenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant