Chapitre 17 : Feu intérieur

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— Hum...

Dès l'instant où je reprends conscience, une douleur vive me traverse le corps. Je ne me souviens pas tout de suite de ce qui s'est passé. Je sais simplement que je suis au sol et qu'au vu de la position du soleil il doit être approximativement dix heures. Entre deux respirations laborieuses les mots et actes de mon père me reviennent en ne me provoquant aucune réaction. Ce n'est rien de réellement nouveau. Je me redresse avec lenteur et peine. Mon corps est lourd comme si je portais une armure de plomb. Je grogne. Je ne cherche pas à me retenir, c'est inutile; je suis seul, personne ne peut m'entendre.

— Ah...Ça fait chier.

Je ne dois pas relâcher mes efforts maintenant. Je me force à étirer mes muscles douloureux pour être opérationnel au plus vite. Je ravive mon feu intérieur avec le peu de force qu'il me reste, après tout si je veux pouvoir me reposer efficacement il vaut mieux que je fasse ce qu'il m'a demandé d'abord. Sur cette pensée j'attrape la ceinture qui gît à mes pieds et me lève pour attraper le cutter nonchalamment posé sur l'accoudoir usé du fauteuil, la lame est encore sortie. Je fronce le nez. L'air que je respire à l'odeur du fer, et pas seulement parce que j'ai saigné du nez, la pièce entière est enfumée. J'ouvre les fenêtres et m'accorde quelques secondes que j'estime mériter pour prendre un peu l'air. La brise qui passe dans mes cheveux collés de sueur me fait un bien fou et fini de me réveiller. Parfait. Je suis d'attaque maintenant, enfin presque. Je monte à l'étage et tourne à droite, j'ouvre la porte à côté de la mienne et entre dans la salle de bains. Je passe rapidement la lame sous l'eau afin de la nettoyer et la rentre dans son étui, faisant ainsi résonner sa mélodie unique. Je me dirige vers la chambre de mon père, la dernière pièce tout à gauche. J'ouvre le tiroir de la table de chevet posée à côté du lit défait. Je fais le tour de l'imposant meuble et relève la couverture sur les oreillers. Je fais volte-face et ouvre une fois de plus un tiroir, mais cette fois si celui de la commode. Divers bibelots reposent dessus, une bougie, une boîte de mouchoirs, une figurine...Rien qui ne laisse ressortir sa nature colérique. Je range la ceinture aux côtés de ses sœurs et quitte la pièce sans m'y attarder plus que nécessaire. Je me cramponne fermement à la rambarde pour ne pas tomber en redescendant alors que les marches défilent sous mon regard fatigué. J'ai mal partout...aux pieds, aux genoux, aux hanches. Toutes les parties inférieures de mon corps me supplient de les laisser enfin se reposer. J'aimerais les écouter, je le souhaite du plus profond de mon cœur, mais je les fais taire cruellement. Je n'ai pas de temps à m'accorder. Pas plus que du repos ou des soins. Pas pour l'instant. Je pars dans la cuisine le souffle court et grimace en voyant le verre posé à l'envers sur le plan de travail.

— Sérieux ! Il fait aucun effort !

Je respire un grand coup et me raisonne. Je perds de l'énergie, et, sachant que je ne dispose pas de grandes ressources, il est totalement idiot de la gaspiller ainsi. Je suis assez mature pour savoir quand, ou non, laisser ma colère s'exprimer. Et maintenant, ce n'est pas le bon moment. Je décide donc de me servir de cette colère comme combustible pour le brasier qui nourrit ma volonté. Je prends le verre et commence à le nettoyer avant de l'essuyer et de le ranger dans le placard, et luttant contre mes côtes. J'essuie avec une vigueur renouvelée l'empreinte collante laissée par le pourtour du verre, qui ne semble pas vouloir disparaître. Je rince l'éponge et soupire. Longuement. Je me suis laissé le plus dur pour la fin. Je m'accorde un verre d'eau avant de penser à la suite, mais je le finis d'une traite, mourant de soif, et la suite me rattrapa. Je vais devoir enlever le sang et autres liquides qui se sont incrustés dans le parquet et dans le tapis. Malheureusement pour ce dernier, je ne pourrais pas faire de miracle, bien qu’il ne soit pas blanc, tirant plutôt sur le pêche terne, les taches ressortent de par leur couleur pourpre qui attire l'œil. Je m'aide du fauteuil pour m'agenouiller et commence à frotter le tissu rêche avec le côté vert de l'éponge. Des gouttes de sueur viennent trouer la mousse écarlate qui résulte de mes efforts. Je sens mes plaies se rouvrir dans mon dos à cause de la tension exercée sur ma peau. Je redouble d'efforts. Je dois aller plus vite. Je veux finir. Je veux aller prendre une douche, me débarrasser de cette odeur de pisse que je traîne partout avec moi, me soigner ; et plus que tout dormir. Je veux un sommeil sans rêve, profond, comateux. Un sommeil simple, et efficace. Je trempe l'éponge dans le bol d'eau savonneuse que j'ai avec moi et retourne à ma tâche. Après vingt-cinq minutes, et deux bols d'eau rosée changée, je m'avoue vaincu. J'ai réussi à dégrossir en partie la tâche, mais elle restera ici, comme si le temps s'était figé en la suspendant dans le flux des âges. Comme les autres qui parsèment le tapis comme des vestiges de guerre, changeant de couleur au fur et à mesure que les années les érodent, que les pas foulent le terrain, qu'elles se font recouvrir par de nouvelles arrivantes. Le parquet me prit moins de temps à nettoyer, mais j'étais plus fatigué et un peu moins efficace je le crains. Mais au final, vingt minutes plus tard, j'ai fini.

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