La naissance de Héléna

Partie 2

A ce moment-là, quelque chose grilla dans ses circuits. Elle ne sut dire quoi, si tant est que quoique ce soir s'était produit, mais quelque chose se passa en elle. Héléna s'approcha lentement du miroir, la bouche entrouverte. Le bas de ses jambes étaient si fines, remontaient sur des cuisses plus larges, cachées par une jupe grise. Elle portait une chemise blanche, cachant son buste qui devait être similaire à celui qu'elle avait vu en premier. Ses épaules étaient tombantes, et menaient à un cou fin à l'image du reste. Son visage était dépourvu de toute irrégularité, à l'exception d'un grain de beauté situé sur le côté droit de son front. Sa chevelure ondulée argentée lui tombait aux épaules, parfaitement lissée. Ses yeux aux pupilles noires scrutaient ébahis le miroir, s'en rapprochant jusqu'à le toucher du plus près possible. 

Face à face avec elle-même, Héléna ne pouvait détacher ses yeux de son reflet. Elle avait été designé pour être "parfaite", selon les rapports du centre. Mais ça n'était pas le cas. Sa veine noire qui parcourait son visage contredisait ce mensonge, de même que ses membres, qui n'étaient même pas recouverts de peau. Ses scanners pouvaient identifier chaque chose qui n'allait pas, et Héléna les releva et les enregistra un à un. Camélia. Elle collait bien plus à l'image parfaite que le centre de robotique essayait d'atteindre qu'elle-même. Pourquoi s'obstiner à atteindre la perfection lorsqu'elle existe déjà chez les êtres humains ? 

Camélia regarda Héléna se contempler durant de longues secondes sans rien dire, souriante, lui laissant le temps de s'évaluer, et Héléna lui en fut aussitôt reconnaissante.

- Je suis une fille, dit-elle à la déclarative.

- Oui, tu es de sexe féminin, affirma Camélia. Ton programme a été induit dans cette direction, à priori. Pourquoi ? Tu ne captes pas cela ?

- Je demandais simplement confirmation. Combien je mesure ?

- Euh... Un mètre 65, je crois. Mais tu devrais avoir accès à tout cela, normalement. Ça n'est pas le cas ?

- Si, mais je préfère une réponse verbale.

Camélia se retrouva agréablement surprise, et se précipita pour aller chercher sa fiche. Héléna finit par rompre le contact visuel avec le miroir, se dirigeant vers Camélia.

- Je confirme, dit la femme, enchantée, tu es au-delà de toutes nos espérances, Héléna !

Héléna sourit à nouveau. Elle se décida à fouiller dans son programme, afin de voir ses statistiques. Il y en avait énormément, et parmi toutes, elle en sélectionna quelques-unes. Sa force physique était 20% plus élevée que la moyenne des femmes de sa corpulence, ce qui n'était pas excessif, mais sa dextérité dépassait à plus de 200% celles des autres. En guise de preuve, elle remua les doigts à une vitesse fulgurante, les faisant faire tous les mouvements qu'elle désirait.

- Plutôt pas mal, hein ? lui lança Camélia.

- Oui, je trouve ça amusant, mais peu utile.

- Ne t'en fais pas, tu trouveras l'utilité avec le temps. Toutes les habiletés dont on t'as doté sont intéressantes, je te l'assure.

Héléna jeta à nouveau un rapide coup d'œil à son programme.

- Je sais résoudre un rubik's cube à cinq faces en moins de dix secondes, apparemment.

Camélia éclata de rire.

- Haha ! C'est... Vlarsth, il a tenu à ce que l'un des androïdes ait cette capacité.

- Qui est-il ?

- Vlarsth ? Un autre de tes concepteurs, il s'occupe de l'aile nord, actuellement.

- Qui sont-ils, tous ?

- Nous sommes quatre, en tout. Vlarsth, Judith, Coraline et moi-même, Camélia.

- Où sont-ils en ce moment ?

- Vlarsth et Coraline sont dans d'autres ailes du bâtiment. Je ne sais pas si tu pourras les croiser, on a encore beaucoup de travail, tu sais.

A en observer les piles de papiers étalées sur la table et les cernes qui se dessinaient sur son visage, on pouvait facilement deviner que Camélia disait la vérité.

- Je comprends, dit Héléna, néanmoins déçue. Et Judith ?

- Elle est en vacances, répondit Camélia. Avec son fils unique. Pauvre Judith... Elle a perdu son mari il y a quelques mois. Un accident de voiture volante. Fais gaffe aux voitures volantes, Héléna, c'est mortel.

Héléna dodelina de la tête. Pauvre Judith, en effet. La mort ne possédait pas de retour en arrière, et en y pensant, Héléna se sentit mal pour cette personne qu'elle ne connaissait même pas, mais qu'elle savait être l'une de ses créatrices.

- Camélia... fit-elle doucement.

- Oui, Héléna ? Tu peux me poser toutes les questions que tu veux, je suis là pour ça.

- Est-ce que j'ai une date de mort prédéfinie ? J'ai... J'ai peur de regarder.

- Ohhh, Héléna ! s'attendrit Camélia. Ne t'en fais pas, tu es designée pour vivre aussi longtemps que ton programme en est capable, et c'est du solide, je te l'assure.

Héléna fut extrêmement soulagée. L'idée qu'elle puisse connaître la date de sa mort lui faisait froid dans le dos - pas littéralement, bien que ses capteurs de sensibilité aux températures eussent été activés.

- Tu as d'autres questions ? demanda Camélia.

- Une dernière. Suis-je la seule ?

- Comment ?

- Suis-je la seule Héléna ? demanda la concernée. J'ai vu que derrière, là, il y avait des ombres d'androïdes, alors je me demandais si par hasard...

- Tous nos androïdes sont différents, Héléna, la coupa Camélia en ramassant sa fiche et son crayon. Bien sûr que les squelettes sont similaires, nous en avons dix sortes pour l'instant, cinq de chaque sexe, mais pour ton assemblage, c'est personnel. Si tu veux tout savoir, c'est moi qui ai fait ton visage. Tu ressembles un peu à la femme de mes rêves, haha !

Héléna rit, entendant pour la première fois son rire, qu'elle trouva un peu nasillard. Camélia avait donc créé son visage en partant de l'image de la femme parfaite qu'elle avait.

- Allez, viens, suis-moi, on va dans la dernière salle avant que tu ne te frottes à des experts un peu plus aspect "psycho" qui te feront passer des tests un peu chiants mais nécessaires.

Camélia se dirigea vers la porte qui se trouvait à côté du buste de robot, et l'ouvrit avec un badge électronique. Toutes sortes de nouvelles questions fusaient dans la tête d'Héléna, mais elle sortit celle qui lui vint en première :

- Pourquoi ne pas utiliser ton empreinte de main ?

- Parce que la dernière fois que quelqu'un l'a fait, il s'est fait électrocuter. Je tiens à ma main. Allez, Héléna, viens.

Héléna hésita, redoutant ce qu'il y avait en dehors de cette pièce, puis elle se ressaisit. Si elle voulait explorer le monde, c'était mal parti si en face d'une porte ouverte, elle hésitait déjà. D'un pas décidé, Héléna suivit Camélia.