Elle revêtit ses nouveaux vêtements amèrement, la réalisation lui brouillant l'esprit. Au moins, elle pouvait dire qu'elle trouvait que sa nouvelle tenue lui allait bien. Héléna alla ouvrir à Camélia, qui se tenait droit devant la porte, patiente.
- Waw, Héléna ! Tu es juste... Canon ! s'écria-t-elle, franchement impressionnée.
Ce compliment redonna le sourire à Héléna, qui fut prise d'une bouffée de chaleur qui ne semblait pas provenir du système de ventilation. Camélia lui ajusta un peu le cardigan, l'air satisfait.
- Bon, bonne nouvelle relative, lui annonça-t-elle alors.
- Comment ça ?
- Nous t'avons trouvé une entreprise qui a accepté de t'introduire en société, pour pas que nous te mettions à la rue d'emblée.
Une entreprise ? Héléna ne comprenait toujours pas.
- Je suis désolée, Camélia, mais je ne comprends pas, lui avoua-t-elle.
- Eh bien, pour éviter que tu ne sois lâchée comme cela dans la dure réalité du monde godartien, tu vas effectuer une sorte de stage en entreprise qui va te guider, te donner un objectif durant les premières étapes de ta vie, afin que tu ne sois pas trop perdue.
- Mais je peux très bien me débrouiller seule.
- Héléna... Toi oui, tu es autonome et réfléchie, mais ça n'est pas le cas de tout le monde, hélas.
Héléna commençait à se faire une idée du plan de Camélia, bien qu'il lui déplaise fortement.
- Et quand pourrais-je quitter l'entreprise ? demanda-t-elle.
- Quand tu veux ! Il faut juste que tu aies fait le boulot auquel on t'assignera, comme un vrai employé. Tu seras d'ailleurs payée, nourrie, blanchie et logée.
- Et quand est-ce que je m'y rends ?
- Dès la fin des tests que tu vas passer dans un instant avec les gens dont je t'ai parlé avant. En général cela prend deux jours pleins, mais avec toi cela devrait aller plus rapidement.
- Mais... Vous m'aviez dit que... J'étais autonome, que je pouvais faire mes propres choix.
- Et c'est le cas, Héléna ! Mais tu viens de naître, et il est impossible de te laisser partir ainsi. Tu dois d'abord passer par des ordres avant de pouvoir envisager de vivre uniquement sous tes préceptes. Tu sais, passer par l'ordre avant d'atteindre ta propre volonté.
Héléna hocha la tête. Un sentiment de déception l'envahit, et elle cligna des yeux à plusieurs reprises, détournant la tête pour faire mine d'observer à nouveau la garde-robe. Elle savait ce que c'était. Elle avait envie de pleurer. Mais cela lui était impossible. Parmi toutes les choses intégrées à son système, les pleurs ne faisaient pas partie de son programme. Camélia dut s'apercevoir que quelque chose n'allait pas, puisqu'elle demanda, inquiète :
- Tout va bien, Héléna ?
- Oui, je vais bien, mentit-elle. Je regarde simplement les vêtements.
C'était son tout premier mensonge. Son programme l'y autorisait. Camélia n'était pas dupe, mais n'insista pas. Elle nota rapidement des mots sur sa fiche, la mine du crayon grattant sur le papier, et demanda si lorsqu'elle avait fini de "regarder les vêtements", Héléna voudrait bien la rejoindre dans le couloir, ce à quoi elle répondit par l'affirmative. L'androïde resta là de longues minutes, fixant un point incertain dans le néant du blanc du carrelage. L'ordre suivi de sa volonté propre. L'ordre suivi de l'anarchie de l'esprit, du chaos. Le principe inverse de l'entropie. Dans le Seille, Néant et Chaos étaient deux divinités. Ce n'était probablement pas un hasard.
Les deux femmes marchèrent jusqu'au bout du couloir long d'une cinquantaine de mètres, Camélia en tête. Au fond, une gigantesque porte métallique barrait l'entrée d'une toute nouvelle aile du bâtiment, que Héléna s'apprêtait à découvrir.
- C'est ici que nos chemins se séparent, Héléna, déclara Camélia en sortant son badge. Tu n'imagines pas à quel point tu m'a bouleversé, alors merci.
- Je ne vous reverrai plus ? demanda Héléna, concernée.
- J'ai bien peur que non. Je dois m'occuper d'autres androïdes, et je ne sais pas si tu auras l'occasion de revenir ici un jour, ni même si tu en auras envie. De tous les androïdes créés, aucun n'est revenu ici.
- Je quitte Cermh ?
- Oui, et le Sypt. L'entreprise se situe en Mézalpinie, elle est régie par William Balh, tu connais ?
- Oui, il extrait des stalls.
- Exact. Donc sincèrement, je préfère te dire au revoir maintenant, quitte à avoir une bonne surprise si on se revoit.
C'était tout à fait compréhensible, en effet.
Alors que Camélia s'apprêtait à appliquer le badge sur la zone d'ouverture de la porte, Héléna l'interrompit soudain en lui posant une main sur l'épaule.
- Camélia, dit-elle. J'ai une dernière question.
- Je t'en prie, Héléna.
- Vous m'avez créé un corps, doté de conscience, tout cela pour me lancer dans la vie de Godart. Mais juste... Pourquoi ?
Camélia sourit aussitôt, comme si Héléna venait de dire une bêtise.
- Parce que l'on peut créer la vie avec du fer et des fils. On en a les moyens, à présent, et notre but ultime, ici, c'est de créer l'être vivant le plus humain possible. Repousser la définition d'Humanité en prouvant qu'un androïde peut être autant voir plus humain qu'un humain. Et quand je te regarde, Héléna, je me dis que ce but, on l'a peut être déjà accompli.
Un sourire ému apparut aux lèvres de Héléna, qui tenta de répondre à cela, mais se contenta d'ouvrir la bouche s'en qu'aucun son n'en sorte. Ce n'était pas un bug, Camélia lui avait simplement retiré les mots de la bouche. La scientifique lui renvoya son sourire, et passa affectueusement sa main dans le dos de l'androïde.
- Merci, dit Camélia.
Héléna avait l'impression que ce n'était pas l'ordre des choses, mais en y réfléchissant bien, c'était tout aussi logique. Le badge ouvrit la porte à la verticale, et Héléna s'avança dans l'inconnu. Tout était marqué sur les murs, lui avait dit Camélia en parlant des directions à suivre. Héléna se retourna vers Camélia au moment où la porte se referma, la séparant définitivement d'elle. Parmi toutes les personnes de sa vie, elle était la première, et plus que tout la plus importante. Elle était sa créatrice, son éducatrice, sa psychologue... Elle était son tout.
Héléna progressa d'un pas hésitant, puis décidé dans les couloirs, prête à s'ouvrir au monde et aux peuples, sans aucune peur. Le jour de sa naissance, Héléna n'avait pas quitté le néant. Elle avait quitté l'ordre pour rejoindre le chaos de la conscience d'esprit, pour le meilleur et pour le pire.
De l'autre côté de la porte, Camélia soupira, griffonna ses derniers mots sur la fiche, finalement rédigée, et se dirigea vers la salle des androïdes. Il lui en restait un sacré paquet, et il était grand temps de s'y mettre. En arrivant, elle scanna puis déposa la fiche remplie de H3le-11vb.oi, ou Héléna, dans un bac destiné à cet effet, et partit chercher le prochain androïde à éveiller. A côté de la pile de fiches des nouveaux androïdes, trois feuilles aux dates plus anciennes et à ne pas mélanger avec les autres reposaient, calées par un presse-papier. En haut à gauche, le nom des androïdes était rédigé fièrement en lettres capitales grasses. Dessus, on pouvait y lire Vlarsth.oi, Judith.oi, et Camélia.oi.
Bureau de Cermh, Sypt, financé par Balh Industries
L'histoire de Héléna est à suivre dans Time Of Veteraire : La Ruée des Stalls
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La naissance de Héléna
Science FictionHéléna est une androïde .oi. Malgré toute ses facultés, elle ignore encore qu'elle jouera un rôle important dans l'avenir de la planète Godart. Ceci est sa naissance.