Ce que j'aime dans le monde de la cuisine, c'est être dans les coulisses. Vos putes modernes d'une société pervertie. On vous nourrit, vous nous payez. La panse pleine, vous repartez sans vous soucier de la sueur sur notre front. De notre ferveur à vous satisfaire, quel qu'en soit le prix. Je plains tous ces serveurs, témoins de ces visages grisants qui font la gueule, de ces couples qui ne s'aiment plus et se gerbent des homélies odieuses. Laissez-moi faire suer ma viande en cuisine. Nous devons passer par la salle du restaurant afin d'utiliser les toilettes destinées aux clients, les nôtres sont en panne. Et ça me suffit. Il ne me faut pas plus de 3 secondes pour être heureux de voir des visages souriants, appréciant notre talent. L'ambiance est à son comble, Jenny crache encore sur la Terre entière et Thomas n'en bite pas une. J'aperçois 3 pauvres assiettes qui attendent d'être apportées aux clients. Comme chaque jour, je teste l'équipe. Alors, par curiosité, j'attends de voir si l'un d'entre eux va finalement se décider à apporter ces assiettes. 3 longues minutes s'écoulent.
Je pète un câble. C'est un restaurant étoilé, on est dans Manhattan. Inutile de vous faire un dessin, une assiette ne peut pas être laissée de côté plus de 30 secondes. En 3 minutes, une viande s'assèche, se refroidit, et la qualité du plat s'amoindrit.
C'est foutrement intolérable. Vous voulez faire ce métier ? Il vous faut de la constance.
Passer ma vie à admonester pour avoir des résultats, non merci. Je suis éreinté.
Je m'éclaircie la voix et reprends l'équipe en main.
C'est bon, chacun tient son rôle. Je peux m'absenter 5 minutes.**
Me voilà aux toilettes de la clientèle, face au miroir. Putain, mes cernes ont des cernes. Je ferme le verrou et sors ma cocaïne. Oui, je sais. C'est le moment où vous me cisaillez du regard. Heureusement que je ne vous vois pas. C'est une de mes tares, il fallait bien que j'y vienne. Je vous avais dit que je me livrerais. Aaah cet hédonisme mondain et pernicieux... Je bouche une narine et tape une poutrasse comme on en fait plus. Bon, je suggère d'y retourner. Pardonnez mon écart, mais j'en avais besoin. J'arrive en cuisine, Thomas tente de calfeutrer son soufflé à l'aide d'un reste de pâte, pour ne pas qu'il s'affaisse. Je lui dis que c'est une merde et que son soufflé est immangeable. Jenny arbore fièrement son attitude putassière, pour ne pas changer. Surtout quand Marius est là. Cet homme merveilleux, d'une grandiloquence sans nom. Vous l'aurez remarqué, mon équipe et moi, on s'adore. J'imagine que ça ne doit pas être évident tous les jours d'être asséné de mots violents. Je passe pour un forcené, mais nous sommes un étoilé, je le répète. 11 heures de travail non stop aujourd'hui. 8h - 19h. BAM. À 49 ans, ça maintient en forme.
(silence)
J'espère que vous me suivez ? On en reparle après quelques traces.
On m'appelle le Lucky Luck des Neiges, le Zoro des Montagnes, le Pisteur des Folies Douces. Avec moi, on attrape ses après-ski, on sort la coke et c'est parti. Rien de tel, que dévaler une piste rouge à plusieurs. Remarquez, on ne peut pas m'en vouloir d'être altruiste.**
Plus que 3 h à tenir, les plus longues de la journée. Je pense que je mérite la palme d'or du Dépassement de soi. La team est sur les rotules, mais étonnamment tout le monde se serre les coudes. C'est souvent en fin de shift que l'ambiance n'est pas trop mal. On peut même observer Jenny, l'air chafouin, taquiner Marius. Thomas qui semble ailleurs, quoi qu'il advienne. Et moi, qui débagoule en cuisine, les pensées tournées vers Oliver. C'est le moment de nettoyer, y en a partout, c'est dégueulasse. Tous ensemble, on s'adonne à cette pénible tâche et on rentre chez nous. Je suinte la transpiration, mais un restaurant avec Kate m'attend.
Bilan de la journée : 3 plats renvoyés en cuisine, des erreurs de débutant et une tension palpable. Je rentre chez moi, il faut que je me douche. J'ai les mains qui tremblent, tellement je les ai sollicitées. Pourquoi croyez-vous que les cuisiniers ont tous des gros doigts ?
Kate n'est pas à la maison, je suis seul. Je me prépare comme-ci, c'était notre premier soir.
Sauf qu'on connait déjà la chanson et qu'on n'a plus envie de l'entendre. Oui, je suis distant, Kate. Non, ça ne repartira jamais comme en 40. Elle est déjà là, assise à m'attendre, un verre à la main.
Wow. Elle est sublime ce soir. Cette magnifique robe en velours noir et ces perles d'Akoya lui vont à merveille. Ça va, j'ai encore le droit de trouver ma femme jolie.
On se regarde droit dans les yeux et je m'efforce de ressentir quelque chose.**
Lorsque j'ai vu Oliver, j'ai réalisé à quel point j'avais toujours eu honte de moi. Et puis je me suis souvenu de tellement de moments dans ma vie où j'avais déjà ressenti ça.
Je mets mon dîner sur pause, pour vous raconter comment ces petits moments ont pu m'empêcher de vivre à 100 %. Et pourquoi aujourd'hui tout semble si compliqué. Je me rappelle de tout un tas de fantasmes enfouis, des mots-clés que j'écrivais sur les sites porno, des photos que je regardais, des réactions que j'avais quand un bel homme passait ou que deux hommes s'embrassaient. J'ai toujours eu envie de vivre cette adrénaline, moi aussi. Mais j'ai toujours eu trop peur et je me suis conditionné à rester « normal » aux yeux de mes proches et de cette société perverse. Je me mentais à moi, à vous. Et le pire, c'est que j'y croyais. Le souci, 15 ans plus tard, c'est que Kate aussi y a cru. Regardez-là, cette merveille de femme, qui n'a jamais mérité tout ça. Rah. Comment aborder le sujet ? J'en sais rien, alors je vous parle encore un peu.
Je sais, il me faudra tabler sur la sincérité tôt ou tard. Et puis un dîner, ça ne dure pas une vie, va bien falloir que je m'explique.
Je ne voulais pas être différent des garçons virils qui m'entouraient. Ce rôle ? Je l'ai tellement bien joué, que j'ai fini par me marier et faire trois beaux enfants. J'étais là, l'air contrit, à ne pas savoir quoi dire. Ça y est. Elle me regarde empli de doutes et me répète : « Dis-moi ce qui ne va pas, David, je sais qu'il y a quelque chose. »
Ou quelqu'un.
Vous me pardonnerez, mais je dois y retourner.**
Je sais que lorsque j'aurai commencé ma phrase, le dîner prendra une tournure différente. Ma vie aussi. J'ai une chance sur deux de finir mon repas seul. Enfin, je dis ça, mais j'ai pas faim.
Mon choix repose sur un mensonge ou une vérité. Je me demande ce que vous me conseilleriez si vous étiez là. Je la regarde et dépose ma main sur la sienne. Mon choix est fait.
Tout va bien Kate, le travail me prend toute mon énergie, l'équipe est naze, mais tout va bien. Voilà. Ne soyez pas surpris, le mensonge est le propre de l'Homme après tout. Je repousse le problème à plus tard et je sais qu'elle n'y croit plus non plus. J'ai commandé un turbot au champagne sur son lit de champignons persillés. Kate reste distinguée avec son demi homard thermidor. On fait semblant, nos sourires sonnent faux et on le sait tous les deux. Mais on a trois enfants encore un peu jeunes pour subir ce genre de schéma familial.
Oui, je parle bien du mec marié, des enfants et qui se barre faire sa vie avec un homme. J'avais mon médecin comme ça, deux enfants, une femme merveilleuse.
Il a tout plaqué du jour au lendemain pour se marier à un homme et refaire sa vie.
J'ai l'impression de me redécouvrir, tant cette facette de moi était cachée.
Suis-je bisexuel ? Hétéro ? En tout cas, une chose est certaine : Oliver me fait de l'effet.
Kate semble ailleurs, elle parle moins que d'habitude. Son plat n'a pas bougé et son verre de vin non plus.
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Tiểu Thuyết Chung*INDICE : CE N'EST NI UNE ROMANCE D'AMOUR, NI UN ROMAN POLICIER, SAURAS-TU TROUVER LA CHUTE ? IMPOSSIBLE :-) *THRILLER - FICTION GÉNÉRALE - ROMAN NOIR (EN COURS). *TW : Vulgarité, propos sexuels, drogue, scènes malaisantes Important : L'histoire...