Noah est partie aux toilettes, son téléphone vibre sans cesse, il est posé sur l'accoudoir du canapé. Un certain S lui écrit, mais de là où je suis, je n'arrive pas à lire correctement. Je me rapproche et je vois inscrit « Message de S : surtout ne lui dit pas ». J'entends la chasse d'eau, je me précipite à ma place initiale et fait mine de feuilleter un magazine. Noah débarque en trombe, récupère son téléphone et me regarde. Comme pour guetter un changement quelconque sur mon visage, qui pourrait laisser penser que j'ai lu le message. J'entends les enfants crier de concert, cette intense harmonie : « JE TE DETESTE » « MOI AUSSI » Rose semble avoir détruit une des constructions favorites d'Ernest. Vous savez, ses vaisseaux en Lego qui prennent des heures ? Eh bien, c'est son passe-temps. Et Rose ? Lui détruire. Alors je ne vous explique pas les disputes interminables entre les deux. Je vais avoir besoin de sortir ce soir, pour me changer les idées. J'espère que madame Ritcher sera disponible. « Oui, bonjour madame Ritcher, c'est Kate, j'espère que vous allez bien. Seriez-vous disponible ce soir pour baby-sitter les enfants ? Je ne vous ramène pas le commissariat à la maison, je vous le promets ! » Comme à son habitude, madame Ritcher répond présente et moi, je propose à une amie d'aller boire un verre. Peut-être m'aidera-t-elle à y voir plus clair. Je reconnais que je garde beaucoup de choses en moi. J'ai besoin de parler.
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Je me déleste de mon premier verre d'alcool en attendant Laura. J'observe ces trognes aux formes diverses, dont les pommettes indiquent plus ou moins l'heure d'arrivée. Le serveur me drague, il voit sans doute en moi la femme que David ne voit plus et m'offre mon deuxième verre. Il était temps de mettre en pause tout ce vacarme et de m'abandonner à ce rôle que j'aime sporadiquement jouer. Celui de la femme mystérieuse, accoudée au comptoir d'un bar, le sourcil relevé. Ou de la veuve en recherche de désir par le corps, par sa limite, le regard perdu dans l'horizontalité des bouteilles alignées. Être un peu qui je veux, finalement. En revanche, on retrouve toujours dans ce bar cette notion d'obscénité non volontaire. Je décèle de l'amour et des routines. Je vois des regards rieurs et des je t'aime effleurés. Tout n'est pas à jeter après tout, mais dans mon monde à moi, la normalité suprême n'existe plus. Tiens, voilà Laura !
« Désolée, ma Kate, comment vas-tu ? » Toujours aussi gentille, bienveillante et surtout, dévouée. « Ecoute, je crois qu'il va falloir que tu restes bien assise ». Laura me regarde mi-dubitative, mi-surprise et me dit : « OK, Kate, tu me fais flipper, dis-moi. Tu sais que je suis là et que tu peux tout me dire. » Elle se prend un verre et se rassoit le dos bien droit. J'ai toute son attention, mais au moment où je m'apprête à lui expliquer les derniers événements, j'aperçois encore cette femme, au fond du bar, en train de jouer au billard. Je ne peux pas en rester là et me figer telle une statue, il me faut des réponses. L'alcool me propulse jusqu'à sa table de billard et m'articule comme un pantin. « Bonsoir ? Nous nous sommes déjà vu, non ? Vous me suivez en fait, c'est ça ? Partout où je vais ? » « Bonsoir Kate. » Comment connait-elle mon prénom ?**
« Qui êtes-vous ? Une femme perturbée ou bien la maîtresse de mon mari ? Que me voulez-vous ? Hein ? QUE ME VOULEZ-VOUS ? » Je sors de mes gonds et m'approche pour l'attraper par le colback, mais un de ses sbires joue au vigile et m'en empêche. Laura me rattrape et insulte cette dégénérée au passage : « Espèce de folle, lâche mon amie tranquille ou j'appelle les flics ! » Grand silence dans le bar, le mot « flics » les a tous calmés. Laura me regarde et me dit : « Je veux bien prendre ta défense, mais c'est mieux quand je sais pourquoi. Que se passe-t-il ? » « J'allais justement t'expliquer les derniers épisodes en date, lorsque j' » et paf, la folle revient à la charge. « Ton encéphalogramme ne doit pas être bien actif ! Ta mère aurait mieux fait de t'avaler ce jour-là ! » Laura se retourne et tout en maintenant cette lascivité naturelle, mêlée d'une rage de rugbyman, elle se jette littéralement sur elle. Aïe, j'ai mal pour la dame, surtout quand on sait que Laura a pratiqué le hockey sur glace pendant 12 ans. Autant vous dire que lorsqu'elle se fait marcher dessus, elle est d'une crédibilité rationnelle telle qu'on ne s'y frotte pas. Je n'en reviens pas, elle est d'une vulgarité et mérite largement le retour de bâton de mon amie. La suite repose sur l'échange succinct de plusieurs claques qui réveilleraient un mort. Je crois que c'est la première fois que je vois tant de courage, cette dame n'a peur de rien.
Pourtant, le regard de Laura en déstabiliserait plus d'un, mais elle, non. Rappelons tout de même que j'ai tenté d'en savoir plus et que cette chance m'a vite été retirée.
Merci Laura et son célèbre sang-froid.**
Laura se rassoie et boit son verre cul sec. Moi, je ne peux m'empêcher de chercher l'autre du regard et... BINGO ! Elle me foudroie de ses yeux bleus perçants et s'apprête à me cracher sa valda : « Tu sais, Kate, ce n'est pas pour rien si Noah est plus proche de son père ! » QUOI ? Pardon ? Comment peut-elle le savoir ? Cette phrase me transperce en pleines tripes, car je sais qu'elle n'affabule pas. Il est impossible pour cette dame d'inventer ses détails. « Qui êtes-vous, répondez-moi sur le champ ! » Elle part en courant et disparait dans le tumulte new-yorkais. Pourquoi m'a-t-elle parlé de ma fille Noah ? « Laura, sortons d'ici et marchons, je dois tout t'expliquer. » Nous nous dirigeons alors le long du fleuve Hudson et s'installe une discussion partant du point de départ, jusqu'à aujourd'hui. Après lui avoir tout déballé dans les moindres détails, je la soupçonne de me penser paranoïaque. « Kate, je te connais depuis le lycée. Pourquoi j'ai la nette impression que tu te prépares à faire quelque chose que tu pourrais regretter ? » « Ne t'en fait pas, j'ai juste prévu de fouiller dans le téléphone de Noah, mais comme je n'ai pas son code de déverrouillage, ça risque d'être compliqué. » « Oui, c'est bien ce que je dis, tu pourrais le regretter...Et puis, qu'espères-tu trouver ? » « Je crois qu'elle communique avec David, je me demande même si ce n'est pas lui, ce fameux « S » Laura ne pense pas que Noah puisse me cacher une chose pareille et tente de me dissuader de faire quoi que ce soit.**
Je n'ai pas l'esprit étriqué, ma capacité ne se limite pas à voir les seuls quatre coins de mon cerveau. Je vais devoir redoubler d'efforts, car Laura ne m'apporte pas son soutien là-dessus. Cette amitié, quoique sincère et touchante, n'en reste pas moins énergivore. Elle a tout de même raison sur un point : je dois me parer à l'éventualité d'une guerre entre ma fille et moi, si elle apprenait que je fouillais dans son téléphone. Nous rentrons chacune chez soi, et j'invite madame Ritcher à regagner sa demeure. Les enfants ont été sages et dorment comme des anges, rien à déclarer. Je la raccompagne à sa voiture et lorsque je me retourne pour rentrer chez moi, j'aperçois la fenêtre de Noah, grande ouverte avec un vêtement qui pend. Sa chambre est au premier étage de notre petite maison, il est facile de sauter. Je cours comme une dératée toutefois sans un bruit et enclenche la poignée. Noah n'est plus là ! Et madame Ritcher ne s'est aperçue de rien, c'est fort de café pour une soirée soit-disant sans encombre ! J'appelle Noah une première fois. J'entends sonner, mais son téléphone n'est pas à la maison. Je la cherche partout, en vain, mais rien. C'est lorsque je redescends qu'un bruit de clés retentit au niveau de la porte d'entrée. Noah rentre à pas de souris, et je l'attends en plein milieu des escaliers.
Elle pose son sac, retire son manteau et lève la tête au ralenti. Nos regards figés annoncent un climat de tension.
« Je peux savoir où tu étais ? » lui dis-je.LA SUITE CE DIMANCHE :-)
Amitiés,
Clara Felton
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Projection
General Fiction*INDICE : CE N'EST NI UNE ROMANCE D'AMOUR, NI UN ROMAN POLICIER, SAURAS-TU TROUVER LA CHUTE ? IMPOSSIBLE :-) *THRILLER - FICTION GÉNÉRALE - ROMAN NOIR (EN COURS). *TW : Vulgarité, propos sexuels, drogue, scènes malaisantes Important : L'histoire...