Chapitre 4

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Quelques jours plus tard, à la gare

M. Thompson s'approcha d'Ellie, qui réparait silencieusement le train.

- Je suis désolé, dit-il, en lui tenant ses outils.

- Je vais bien, répondit froidement Ellie.

- On doit faire quelque chose ?

- Non. On ne peut pas. Continuons juste à travailler, le train est presque réparé.

- Les filles sont toujours avec toi.

- Elles me détestent toutes. Elles ont peur de ce qui pourrait leur arriver. Et honnêtement, je les comprend. J'aurais peur aussi. Cette idée de rébellion était stupide et irresponsable. J'étais stupide et irresponsable. Regardez où ça nous a mené, expliqua calmement l'adolescente.

- Ellie, tu es différente, fit remarquer le vieil homme.

- Et ? Qu'est-ce que ça change ? Je suis peut-être même mieux comme ça.

M. Thompson garda le silence pendant un moment.

- A propos des filles... Tu penses vraiment qu'elles veulent vivre comme ça jusqu'à ce qu'elles soient vendues à des familles riches ? Non ! Elles ont découvert le vrai visage de Mme Thompson. Elles veulent s'échapper plus que jamais !

- Même si c'était vrai... Je ne prendrais pas de décisions irresponsables comme je l'ai fait, dit Ellie.

- Mais si j'aidais ?

- Comment ça ?

- Je veux me venger. Je suis décidé. Je vous protégerais toutes, à tout prix. Je ferais tout pour que vous ayez une belle vie, plutôt que d'être coincées ici dans ce trou à rats.

- Ca m'a l'air d'être une bonne idée. Si seulement on avait un plan, souffla Ellie sarcastiquement.

- Si seulement tu me faisais confiance.

- Je te fais confiance. Quel est ton plan ? demanda l'adolescente.

- Un Coup d'Etat, à la Française.

L'après-midi, M. Thompson attendit patiemment sa femme dans le salon de leur maison. Il n'était pas anxieux, non. Il était déterminé. Enfin, la directrice arriva.

- Tu es en retard.

Ce fut la première chose qu'il lui dit, amenant la surprise sur son visage.

- Qu'est-ce qu'il se passe, mon cher ? T'as changé. Fais vraiment attention à comment tu me parles, hein, dit-elle, menaçante.

- Je n'ai pas peu de toi, dit-il fièrement.

- Ca, mon ami, c'est le plus gros mensonge de la journée ! Eh bien, tu devrais. C'est toujours moi la cheffe ici. T'as rien à dire.

- Même avec ça ? dit-il, en tirant une valise noire de derrière son dos.

- C'est quoi ? demanda Mme Thompson d'une voix hésitante.

- Allez, fais un petit effort, tu le sais, non ? dit-il en ouvrant en grand la valise.

L'intérieur était rempli. Des liasses et des liasses de billets, trop pour les compter. Des billets de 50 livres, de 100 livres. Tout ce que la directrice avait collectionné, les salaires des filles, l'argent des familles riches. M. Thompson craqua joyeusement une allumette au-dessus du tas.

- Attend ! Non ! Pourquoi tu m'fais ça, Edwin ? commença-t-elle à sangloter de manière tout à fait ridicule.

- Oh, allez. Arrête de pleurer. Je te les laisse. Tu dois juste me promettre quelque chose. Tu arrêtera de faire du mal à des enfants, ou à n'importe qui. Tu arrêtera de prendre de l'argent aux gens sans raison.

- Faire du mal à des enfants, d'accord. Mais non, j'arrêterais pas de réclamer l'argent qui m'est dû ! C'est c'que j'gagne en éduquant une bande de paresseuses !

- Elles font tout le travail et tu prends leur argent ? Ce n'est pas ce que j'appelle « gagner de l'argent », dit Edwin en élevant le ton.

- Arrête ton p'tit chantage maintenant, ou j'te dénonce à la police !

- Oh, c'est bête, je crois que le trafic d'enfants est illégal aussi. Ce serait dommage de révéler que tu réduis des enfants en esclavage depuis des années. L'esclavage a été aboli en 1833, espèce d'abrutie illettrée. Et n'oublions pas que tu en as tué une.

- Je te promet que je ne voulais pas ! C'est de sa faute, elle était trop faible dans tous les cas.

C'était l'étincelle qui mis le feu aux poudres. Littéralement. M. Thompson jeta l'allumette sur le tas de liasses. Le feu se propagea rapidement sur la pile.

- Non !!! Edwin, qu'est-ce que t'as fait ! s'exclama-t-elle en se jetant sur ses précieux billets. J'ai gardé l'argent pour nous !

- Eh bien, garde le pour toi. Je ne veux pas de cet argent sali par tes magouilles. Tu me dégoutes. Prend ça, dit-il en jetant au feu sa bague de mariage. Et signe les papiers de divorce. J'espère ne plus jamais poser les yeux sur toi. Au revoir.

Et il s'en alla, en prenant la direction de l'orphelinat. Il se sourit à lui-même, fièrement. « Elle m'a brulé le bras, j'ai brulé son argent. Tout est parfait ». Arrivant à la gare, il vit toutes les filles l'attendant à côté du Aevum Express.

- Il est réparé ? demanda-il.

- Parfaitement opérationnel, monsieur, confirma fièrement Ellie.

- Bien. Merveilleux. Parfait. Allons-y

- Excusez-moi, monsieur ? Où va-t-on ? demanda une petite fille rousse.

- J'ai un joli manoir dans la banlieue de Londres. Ce sera votre nouvelle maison.

La locomotive à vapeur lâcha un dernier sifflement, accompagné d'un épais nuage de fumée qui flotta jusqu'au toit en verre, alors que les dernières filles grimpaient la marche pour entrer dans le dernier wagon rouge bordeaux. Enfin, les portes en métal se fermèrent, annonçant un départ imminent. Et l'Aevum Express se mit en route.

Aucune des filles ne se retourna.

Le Quai des OrphelinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant