PROLOGUE

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Chipping Campden – 1801

Dans le doux rayonnement de l'aube, une nouvelle fleur a émergé de la terre. Ses pétales pâles s'ouvrent avec grâce, révélant des étamines d'un orange vif, telles des flammes éclatantes. Les abeilles vaquent à leurs occupations, butinant avec diligence, tandis que les papillons virevoltent gracieusement parmi les rangées colorées. C'est une œuvre d'art éphémère, puisque quelques domestiques revêtent déjà leurs tenues et se rendent aux champs. Avec expertise et minutie, ils cueillent délicatement les stigmates des Crocus Sativus, veillant à ne pas les abîmer.

De l'autre côté, les allées dorées du domaine sont animées par un flot incessant de visiteurs depuis ce matin, tous venus témoigner de leur respect à la grande dame Sophie. Les murmures inquiets courent de bouche en bouche, annonçant une nouvelle alarmante : la santé de la maîtresse des lieux décline rapidement.

Les commerçants, fidèles depuis des lustres, sont ébranlés. Et le bon docteur Silvester, dont la réputation s'est élevée cette année grâce aux vertus curatives de sa précieuse épice est lui aussi dans l'effroi. Son cabinet résonne de la nouvelle tragique, car il sait que ses traitements, basés sur le safran, sont la clé de son succès et de la confiance de ses patients fortunés.

Le domaine Wealfor est le seul producteur dans toute la région, et se tourner vers d'autres fournisseurs serait non seulement inconcevable, mais aussi prohibitif en termes de coûts. Les cuisiniers, dont les nouvelles créations culinaires ne peuvent se passer de cette épice unique, sont également saisis par la crainte de voir leur meilleure clientèle partir.

Qui prendra les rênes de l'entreprise safranière si elle ne peut plus assumer ses responsabilités ? La réponse est évidente pour certains : son fils, Harold, est le successeur désigné. Mais celui-ci, bien qu'héritier du nom prestigieux de Wealfor, dont le Père Kenneth a d'abord fait fortune en tant que banquier, n'est pas celui que l'on qualifierait de digne de confiance.

Le village redoute le jour où il sera aux commandes, craignant que la prospérité du domaine ne soit compromise par son inexpérience et son manque de sérieux, car sa réputation entache depuis longtemps son image.

Tandis que le jour tire à sa fin et que la grande dame approche de son dernier souffle, elle se tourne vers son fils bien-aimé, et lui murmure des mots qui marqueront à jamais son esprit : "Je t'aime", dit-elle avec une tendresse infinie, avant d'ajouter d'une voix faible : "Quoi que tu fasses, reste fidèle à toi-même." Harold a obéi. Il a même si bien obéi qu'il a quitté le domaine pendant des années pour aller vivre à Liverpool, Sheffield autrement dit, partout, sauf chez lui.

Voilà pourquoi il est surpris le jour où Georges l'appelle au domaine. Sa lettre est catégorique : il doit rentrer sur-le-champ. Ce qui est diablement embêtant ; son oncle n'est plus tout jeune pour s'occuper de l'entreprise familiale et il est de plus en plus difficile pour lui de s'occuper de toutes les tâches administratives. Tout comme les villageois, Georges est convaincu qu'un homme doté d'une telle fortune comme Harold devrait avoir une épouse à ses côtés, car la vie dissolue de son neveu ne correspond guère à ce qu'il espère pour lui.

Ainsi, alors que le retour du jeune héritier est déjà connu de tout le village, les jours paisibles sont désormais comptés, et le vent du changement souffle déjà sur la vallée, annonçant une tempête imminente.

Le Rossignol de Wealfor Où les histoires vivent. Découvrez maintenant