V MARCHE NUPTIALE

4 0 0
                                    

Les murs familiers de l'entrée sont oppressants, rétrécissant l'espace autour de Rosalind. Chaque pas sur le parquet grinçant des escaliers résonne avec une lenteur inhabituelle, comme si ses mouvements pesaient des tonnes. Lorsqu'elle atteint enfin sa chambre, elle se laisse tomber sur son lit et enfouit son visage dans l'oreiller, espérant trouver dans le tissu moelleux un refuge temporaire.

L'idée de chanter dans un hôtel est une brise fraîche dans sa routine étouffante, une possibilité de se réinventer.

La gouvernante a probablement raison. Peut-être que cette opportunité pourrait lui offrir une nouvelle voie à ce monde si restrictif qui l'enferme Est-elle prête à franchir ce pas, à affronter les conséquences d'un tel choix ?

Un bruit lourd résonne en bas, brisant le silence paisible de la maison. Le cœur de Rosalind s'emballe de nouveau, cette fois par la surprise. Elle jette un coup d'œil rapide à sa jeune sœur, vérifiant si le fracas l'a réveillée. Celle-ci dort profondément, son visage paisible baigné par la douce lumière de la lune filtrant à travers les rideaux.

Elle se lève alors, puis descend rapidement les escaliers. Ses pieds nus effleurent les marches froides, chaque contact envoyant un frisson glacé à travers son corps puis avance vers la cuisine, guidée par une lumière vacillante et les échos de sa propre respiration.

En arrivant, la silhouette de sa mère est penchée sur un verre brisé. Rosalind est attristée en voyant les mains tremblantes d'Anne essayant de ramasser les morceaux.

– Laissez-moi m'occuper de cela, vous pourriez vous blesser.
Elle guide sa mère hors de la cuisine et commence à nettoyer à l'aide d'un balai. L'eau renversée forme une petite flaque sur le sol, qu'elle s'empresse d'essuyer avec un chiffon. Lorsqu'elle retourne au salon, sa mère lui offre un faible sourire et lui indique de venir s'asseoir à ses côtés.

– Pourquoi êtes-vous toujours éveillée ?
– Je n'arrive pas à trouver le sommeil, répond-elle en observant les traits fatigués de sa mère. Et vous ?

Anne soupire, ses mains serrant un mouchoir de dentelle.
– J'attends Edgar. Il ne devrait pas tarder.
– N'êtes-vous pas fatiguée de tout cela, de cette vie ?
– Oh, oui, lance-t-elle. Je suis épuisée... Mais c'est la vie que j'ai choisie. Même si ce n'était pas la bonne décision, c'est celle que j'ai prise de moi-même.

Rosalind lui prend les mains, sentant sa peau fine et froide sous ses doigts. Les lignes du temps marquent le visage d'Anne, ses yeux cernés d'un voile de tristesse.

– Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous rendre la vie plus facile, mère. Bientôt, vous serez auprès de médecins compétents. Ils vous soigneront, j'en suis certaine, dit-elle en essayant d'insuffler de l'espoir dans sa voix.

Anne répond d'un sourire mélancolique, ses lèvres se courbant avec douceur, mais sans véritable joie.

– C'est aimable de votre part de dire cela. Mais, en vérité, cela m'importe peu.

Sa jeune fille, surprise, fronce les sourcils, une ombre de confusion traversant ses traits délicats.

– J'ai bien peur de ne pas comprendre. Ne souhaitez-vous pas guérir ?

– Eh bien... il y a des douleurs que même les meilleurs médecins ne peuvent guérir. Ce que je souhaite réellement, c'est que vous parliez d'amour. Je veux que vous connaissiez le bonheur, que vous profitiez de votre jeunesse comme il se doit. Vous méritez tellement plus que ce que la vie vous a offert jusqu'à présent...

– Je fais tout cela pour vous, articule-t-elle, les larmes aux yeux.

Ses traits se durcissent, prenant une expression plus sévère.
– Ne pleurez pas ! Bon sang, il est grand temps que vous cessiez de croire que le monde s'effondre à chaque contrariété.

Frappée par le ton de sa mère, elle tente de retenir ses larmes et ses lèvres tremblant sous l'effort.

– La vie est trop courte pour se laisser briser par chaque difficulté. C'est absurde d'envisager d'épouser un homme que vous n'aimez point, simplement pour ma santé. Votre père ne peut s'en prendre qu'à lui-même ! Ce n'est certainement pas mes filles qui vont payer pour ses erreurs ! Promettez-moi, s'il insiste, je vous en conjure, partez loin d'ici !

Avec tendresse, elle enveloppe Anne dans ses bras, partageant enfin toute la vérité.

– Mère, en réalité... Je n'aurai sûrement pas à le faire... Une opportunité de travail s'est présentée à moi. Quelqu'un m'a proposé de chanter pour gagner ma vie dans un hôtel. J'ai été assurée qu'il n'y avait rien d'inapproprié, mais les soirées sont tardives. De cette façon, je pourrais moi-même m'assurer de couvrir vos frais médicaux... Enfin...

Rosalind hésite encore, jouant avec ses ongles, la tête inclinée. Pendant quelques instants, elle a caressé l'espoir fugace qu'elle pourrait changer les choses, vivre selon ses propres termes. Mais aussitôt, elle est rattrapée par la réalité cruelle et impitoyable. Au diable les préjugés et les inégalités. Être une femme dans cette société où elle n'est ni acceptée ni écoutée, condamnée à n'être désirée que pour perpétuer une lignée, ne devrait plus exister. Et pourtant... Pourtant...

– Pourquoi tant d'inquiétude ? reprend Anne. Cette existence est courte et chaque instant passé à regretter ou à imaginer des "et si" est un instant perdu. La vie est un voyage que chacun découvre à sa manière et vous ne devez en aucun cas vous comparer à moi ! Nos chemins sont différents, nos destins aussi. Je le reconnais, votre père n'est plus l'homme charmant pour lequel j'ai fui à une époque, mais je suis reconnaissante pour tout ce que cette union m'a apporté. J'ai la chance inestimable de voir grandir deux magnifiques filles.

– Vous avez dû renoncer à votre rêve pour nous élever, murmure-t-elle, comme si chaque mot pesait sur sa conscience.

Anne, d'un ton ferme, lui demande de récupérer un carnet dans la commode, caché derrière des bibelots insignifiants qui n'intéressent pas Edgar. Sa fille obéit et le lui tend, mais Anne esquisse un sourire et lui suggère de feuilleter. Après un moment d'hésitation, celle-ci tourne les pages et découvre les écrits de sa mère : des pièces de théâtre inventées attendant d'être conclues.

– Je n'ai jamais abandonné mon rêve. Et vous n'êtes certainement pas responsable de tout ce qui m'arrive !

À ces paroles, un sourire s'étire sur les lèvres de Rosalind, tandis que sa mère, un sourcil arqué, lui tapote la main pour la ramener à la réalité.

– Alors, est-ce que vous allez passer toute la soirée à me fixer ou allez-vous enfin plonger dans cette nouvelle pièce pour me donner votre avis ?

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Jun 14 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Le Rossignol de Wealfor Où les histoires vivent. Découvrez maintenant