V L'ART DE LA GUERRE

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Le lendemain matin, Rosalind savoure l'arôme réconfortant de la bouillie qui mijote sur le feu, un sourire timide sur ses lèvres tandis qu'elle ravive le souvenir de son récent éclat de liberté sous la pluie avec cet inconnu. Ses yeux pétillent de joie à chaque échange de leur escapade improvisée.

Cette évasion est de courte durée puisque le sifflement de la nourriture débordant de la casserole la rappelle brutalement à la réalité. La bouillie s'est déjà répandue sur le feu, formant de petites flaques sur le sol. Elle recule brusquement, agitant frénétiquement un torchon pour tenter d'absorber le désordre.

Malgré tous ses efforts, le désastre est inévitable. Rosalind s'approche avec précaution de la casserole, espérant qu'il reste suffisamment de bouillie pour le repas de midi. Cependant, ses espoirs s'évanouissent rapidement lorsqu'elle constate que la quantité est bien ridicule, ne suffisant qu'à une seule personne.

Elle pousse un soupir de déception et décide qu'il vaut mieux s'abstenir de manger. Après tout, sa tendre mère, occupée à l'autre bout de la maison, aura sans doute besoin de plus de nourriture qu'elle-même.

– Rosalind, tout va bien ?
– Oui, oui, mère ! Tout va bien, hurle-t-elle, honteuse de ne pas avoir été capable de préparer un repas convenable.

Elle s'efforce de rétablir l'ordre dans la cuisine après l'incident, éteignant promptement le feu et essuyant les éclaboussures avec diligence. Elle quitte la pièce avec empressement, rejoignant la pièce à vivre où sa mère, Anne, est déjà installée dans son fauteuil. Un sourire de soulagement se dessine sur le visage de Rosalind en constatant que malgré la maladie, sa mère consacre toujours du temps à la couture. Elle approche doucement, observant avec admiration les mouvements agiles de ses doigts.

– Mère..., c'est magnifique, murmure-t-elle, fascinée.

Anne relève les yeux, un sourire bienveillant éclairant son visage fatigué.
– Je m'efforce de garder mes mains occupées malgré tout, répond-elle avec douceur. Celle-ci est pour vous. Vous pourrez la porter demain, il suffira seulement d'ajuster le tout avec un corset.

Elle se maudit d'avoir avoué à sa mère qu'elle se rendait à la soirée organisée au domaine des Wealfor. Voilà qu'elle se fatigue pour des futilités.

La vieille chemise en soie qui appartenait à sa mère a désormais des fines broderies florales accompagnée d'une jupe longue, fluide et sombre comme la nuit. Émerveillée par sa tenue, elle laisse échapper un soupir de satisfaction.
– J'aurais pu porter l'une de mes vieilles robes, vous n'auriez pas dû vous donner tant de mal, murmure-t-elle, admirant les détails de sa chemise.

– Vous plaisantez ! Je veux que vous soyez la plus élégante pour aller chez les Wealfor, répond-elle, posant une main réconfortante sur celle de sa fille.

– Oh... vous savez, je resterai discrète de toute façon, j'accompagne seulement Kate pour qu'elle puisse travailler.

– Le simple fait que vous ayez accepté est déjà un grand pas en avant. Qui sait, peut-être rencontrerez-vous quelqu'un...

Rosalind secoue la tête avec résolution.
– Je n'y vais pas dans l'intention de rencontrer un homme, mère. Ce n'est pas mon objectif.

– Vous ne pourrez pas rester seule toute votre vie...

Edgar pénètre en furie dans la demeure, son visage sombre trahissant une colère étouffée. Il marmonne entre ses dents, laissant échapper quelques jurons indistincts qui alimentent l'anxiété croissante de Rosalind. Elle se redresse brusquement, les mains tremblantes, se demandant s'il a découvert la vérité sur ses escapades secrètes. Aurait-il appris qu'elle était en tête-à-tête avec un homme ? Cette simple pensée la fige sur place, immobile, sage comme une enfant surprise en faute, tandis qu'il arpente la pièce avec fébrilité, ignorant complètement les deux femmes.

– Edgar, que se passe-t-il ? Lance Anne en essayant de se relever.
– Asseyez-vous toutes les deux ! Ordonne-t-il sévèrement.

Rosalind, souvent taquine envers son père, ne perd pas un instant pour obéir lorsque celui-ci donne l'ordre. Le regard d'Edgar se pose finalement sur sa fille aînée, celle-ci s'enfonce dans le canapé, espérant devenir invisible aux yeux de tous. Un silence pesant envahit la pièce, seulement rompu par les sanglots de son père. Il s'effondre littéralement à ses pieds et éclate soudainement en pleurs, la tête reposant sur ses genoux. Les yeux écarquillés, Rosalind guette la réaction de sa mère, tout aussi surprise qu'elle. L'ainée de la famille se surprend même à agir d'une manière qu'elle n'aurait jamais osée auparavant : d'une main tremblante, elle effleure fébrilement sa chevelure blanche et dégarnie. Jamais, au grand jamais, son père n'avait manifesté autant d'affection à son égard qu'en cet instant précis.

– Père..., dites-moi ce qui vous tourmente...
– J'ai tout perdu, ma fille... Toutes nos économies, tout est parti... J'ai parié, et j'ai perdu. Je... je suis ruiné.

Anne porte une main à sa bouche pour étouffer un hurlement de colère tandis que Rosalind, le visage fermé, repousse légèrement son père qui, cette fois, reste prostré par terre, continuant à pleurer comme un misérable. Sa fille l'observe avec dégoût. Ils n'avaient pas besoin de ça. Malgré leur situation déjà précaire, ils étaient parvenus à vivre convenablement grâce à leurs économies. Mais avec cette révélation, toute considération pour son père s'évapore en elle, laissant place à une profonde colère. Edgar, toujours au sol, implore doucement, répétant sans cesse les mêmes mots :
– Je vous en prie, aidez-moi. Je vous en prie !

Rosalind riposte, sans détourner le regard, sa voix pleine de jugement :
– Comment ? articule-t-elle.
–  Un mariage, murmure-t-il entre deux sanglots. L'homme contre qui j'ai perdu au whist, un certain Kent Montgomery, est prêt à vous prendre pour épouse et à nous restituer toutes nos économies, et davantage !

– Vous voulez que je me marie avec un inconnu pour sauver nos économies ? C'est absurde...

– Mais il nous rendra tout ce que nous avons perdu, et plus encore !
– Nous ? répète sévèrement Anne.
– Il a promis de nous aider à obtenir les meilleurs soins pour votre mère !

Rosalind observe sa mère, dont le visage s'illumine soudainement d'enthousiasme. Un sourire naît sur ses lèvres tandis qu'elle porte une main à son cœur, l'espoir renaissant en elle. Rosalind ne peut s'empêcher de sourire faiblement en voyant la réaction de sa mère, même si elle reste sceptique quant à la solution proposée par son père.

– J'ai besoin de réfléchir à cela.

Tandis qu'elle se retire dans sa chambre, Edgar se débarrasse de ses larmes, puis se redresse et embrasse le front de sa femme, murmurant avec soulagement qu'il a enfin réussi.

Le Rossignol de Wealfor Où les histoires vivent. Découvrez maintenant