Prologue

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Media : Les 5 personnages principaux de ce livre (crédit : Toxixi sur Artfight)


  Tap tap ta-tac tap tap ta-tac...

  Un oiseau... Un oiseau devait avoir une assez belle vue, si il passait par ici.
  C'était un paysage parfait et sauvage qui s'étendait alors sous les dernières lueurs de la lune, tache claire perdue dans un océan qui virait au gris, en l'approche du soleil. Toutes les étoiles qui constellaient le ciel s'effaçaient peu à peu, comme mourantes à l'arrivée de leur sœur solaire. Qu'avaient donc fait les étoiles au soleil, et que ce dernier leur avait donc fait, pour qu'ils eussent ainsi besoin de se fuir les uns les autres, sans pouvoir cohabiter parmi les nuages ?
  La lune semblait froide spectatrice de la fuite mutuelle de ces astres de même nature, comme se demandant ce qui, au fond, les rendaient si différents.
  Sous elle, des pins immenses au bois sec et aux branches touffues menaçantes et pointues se dressaient silencieusement dans la pénombre des préludes de l'aube. Ils étaient disposés d'une manière si organisée, et ils étaient si proches les uns des autres, que l'on aurait dit que cette pinède n'était pas naturelle. Pourtant elle l'était, car comment aurait-elle pu exister autrement ?

  Tap tap ta-tac tap tap ta-tac

  On pouvait parfois apercevoir entre les troncs serrés, noirs comme le charbon, des éclats fugaces, comme si certaines étoiles avaient trouvé refuge dans le sous-bois. Cependant, si l'on regardait depuis le ciel, on s'apercevait bien rapidement que ces petites lueurs blanches étaient belles et bien des étoiles, reflétées sur la surface calme d'un grand lac perdu dans la forêt. Seules quelques vaguelettes agitaient sa surface lisse aussi grise que la nuit, et produisaient un léger clapotis lorsqu'elles allaient s'échouer contre le rivage ou l'eau en elle-même. La rive n'avait rien d'une plage accueillante. C'était un sol lisse, boueux, couvet d'épines de pins et des rares plantes qui trouvaient le courage de s'installer sur ce sol instable.

  Tap tap ta-tac tap tap ta-tac tap tap ta-tac

  Dans les sous-bois, le terrain gardait cette texture et cet aspect marécageux, et semblait à la fois saturé de racines, et en même temps soutenu par l'ossature de bois qu'elles composaient. D'en bas, le ciel était une denrée rare, obstruée par les dizaines de branches qui si dressaient sur les troncs rugueux. Les pins semblaient alors excessivement hauts et impressionnants, des géants en forme de lance, plus effrayants que jamais.
  Malgré cet aspect inquiétant, l'atmosphère qui régnait sur le lieu était parfaitement calme, et d'un silence presque sans faille. 
  Presque.

  Tap tap ta-tac tap tap ta-tac tap TAP TA-TAC

  Et c'était sur les rives de ce lac, en cette précise fin de nuit, qui pouvait paraître absolument interminable dans de telles conditions, qu'une vie était en train d'être jouée.

  TAP TAP TA-TAC TAP TAP TATACTAPTAPTA

  À une dizaine de rangées de pins de la rive, dans le noir, le froid et le vent, il y avait une silhouette qui se mouvait à tout allure.
  L'air à hauteur de chat était lourd, humide et brumeux, et peinait à se frayer un chemin jusqu'aux poumons. Avez-vous déjà essayé de courir en apnée ? De sauver votre peau sans même un souffle d'air à disposition ?
  Un félin au pelage gris bondit hors des buissons. Lui, il savait ce que ça faisait, bien qu'il aurait préféré ne jamais être amené à l'expérimenter. 
  C'était un mâle couleur nuage d'orage, avec les extrémités du corps d'une couleur encore plus sombre. Ses iris étaient bleus, juste comme un ciel d'été, et ses pupilles réduites par la peur à deux fentes à peine distinctes. On n'avait aucun mal à deviner que son pelage épais était d'ordinaire très doux, mais il était en ce moment hérissé de toutes parts, rêche et ébouriffé, comme une vaine tentative d'imiter la pinède sur son échine. Au coin de ses yeux perlaient de petites larmes dues à la vitesse de sa course, qui, au lieu de tomber comme des larmes ordinaires l'auraient fait, venaient se mêler à une curieuse plaque de givre bleu, juste sous chacun de ses yeux.
  Il continuait de détaler sur le sol meuble, mu par la seule terreur. Ses pattes larges s'enfonçaient dans la tourbe et soulevaient des paquets de terre à chaque pas. Ce sol mou causerait sa perte... Les empreintes, les empreintes ! Sa piste était toute tracée dans le terrain boueux, et servait de guide opportun à ses poursuivants. Malgré le vent dans ses oreilles, il entendait leur approche. Oh, ils étaient à sa suite...
  La fatigue commençait à gagner sérieusement les muscles du félin. Il avait depuis un certain temps fini de puiser dans les réserves de l'adrénaline, et l'écart entre lui et les chats qui le poursuivaient n'avait dès lors fait que se réduire. La boue alourdissait ses pas, et ses membres le brûlaient tout autant que ses poumons. Il n'en pouvait plus. Il n'en pouvait plus, mais son esprit refusait de s'arrêter. « Si ils m'attrapent, je finirai mort. Je n'ai rien fait je n'ai rien fait mais il en veulent rien entendre..! » Si l'air ne lui manquait pas tant, il aurait poussé un gémissement désespéré. Il ne voulait pas mourir, il ne voulait pas, pas mourir...
  La vie était tout de même injuste. Ceux qui en tiraient les ficelles, si au moins ils existaient, n'avaient-ils donc aucune morale ?

[Le Jugement des Âmes] HorizonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant