Chapitre un

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Plic, ploc, plic. Ploc. Le ciel se morfond. Ces larmes comblent cette nuit déjà sinistre, d'une nuée de mélancolie. Manquait plus que ça. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi sérieusement ? Alors quoi, dès l'instant où je décide de relâcher la pression, le monde entier devrait faire de même ?
Je longeais lentement les rues sans une once d'enthousiasme. Où j'allais ? C'était une bonne question. Ce dont j'étais certaine, c'est que je n'avais pas envie de rentrer. Certainement pas. J'errais dans les rues de manière nonchalante, en traînant des pieds. Je rencontrais un caillou parfois, qui était aussi seul que je ne l'ai jamais été. Je shootais dedans. Le pauvre finira sa vie dans les égouts, au beau milieu d'eaux emplies de déchets et de microbes.
Je devais marcher depuis quoi, trente minutes ? Une bonne heure ? Quel intérêt y a-t-il à savoir ce genre de chose ? Ce n'était pas comme si quelqu'un allait nous offrir un Oscar pour avoir su retranscrire notre temps exact de promenade...

Je tournais au détour d'une rue et tombais quelques mètres plus loin, nez à nez avec un vieil arrêt de bus. Pas sûr qu'il soit encore en activité... Mais bon, après tout, au point où j'en étais, cela ne coûtait rien d'attendre. Je m'asseyais donc sur le vieux banc jonché de crevasses et abîmé avec le temps. Le temps, quelle chose fascinante... Il ne cesse de compter avant de décider quand viendra notre heure. On ne peut jamais l'anticiper. Lui seul est responsable de notre destin. Il n'y a pas seulement des vies qui y passent, les relations qu'elles soient amoureuses ou amicales y font face aussi. Oh oui, croyez-moi, je sais très bien de quoi je parle.
Les minutes passent, je ne sais combien de temps je reste là à contempler le vide. Une chose est sûre, c'est que je suis restée longtemps. Trop longtemps même. Un instant, mes pensées s'éloignent, et j'autorise mon esprit à revenir dans le vrai monde. Je regarde attentivement autour de moi. Personne. Pas même un bus ou un quelconque chat de gouttière.

Après mûre réflexion, j'appuie mes mains sur mon jean trempé pour me remettre debout. J'ai l'impression qu'il m'a fallu un effort incommensurable pour parvenir à me relever. Pourtant, j'y suis étonnamment parvenue.
J'avance vers le tableau des horaires, regarde attentivement... Bien sûr, j'aurais dû m'en douter. Il n'y a plus aucun bus à cette heure si tardive. Tant pis, je vais marcher. Comme je l'ai fait pendant au moins une heure. Il faut croire que c'est ce que je fais de mieux.

Je suis épuisée. Je n'ai plus la force de continuer ma route, pourtant mes jambes continuent, elles tiennent bon. On dirait qu'elles ont imprimé ce mouvement si lent et répétitif dans leur mémoire. Mon corps suit, mais ma tête en a assez de réfléchir. Tout là haut, j'aperçois des lumières. On dirait que la lune s'est reproduite avec le soleil pour créer des milliers de minuscules astres lumineux. Les étoiles... Elles nous paraissent si petites, mais ce sont pourtant elles qui nous surplombent de par leurs éclats mais aussi de par leur nombre. Pour être franche, elles m'ont toujours fascinées.

Quand j'étais petite, ma famille et moi habitions dans un petit pavillon à la campagne. Et tous les soirs de pleine lune, nous sortions pour nous diriger vers notre cachette préférée.
Cette fameuse cabane étais suspendue dans un grand chêne dans notre jardin, dedans nous avions installé une table basse ainsi que des petits coussins pour veiller à notre confort. Elle était composée d'une unique fenêtre d'où s'échappait la pointe de notre télescope. Maman disait toujours que la pleine lune était le fruit de la fusion entre le soleil et elle-même. Et que, grâce à cette fusion, toutes les étoiles se mettaient à scintiller dans le ciel. Comme pour célébrer l'union de ces deux astres ultimes.
Alors, nous montions dans la cabane, nous nous installions confortablement, et nous observions cette nuit somptueuse. Moi, Papa et Maman. Rien que tous les trois. "Un pour tous, tous pour un !" avait coutume de dire mon père.

Une larme silencieuse coula sur ma joue à l'appel de ce souvenir. Puis une autre. Mince, je m'étais promis de ne plus verser de larmes pour des choses aussi futiles. Les larmes me brouillaient la vue, les étoiles devinrent floues, le monde entier devint flou. Je titubais, prenais appui sur un lampadaire afin de ne pas perdre l'équilibre. La pluie se mêlait à mes larmes, collant ainsi une mèche rebelle à ma joue. D'un revers de ma manche je les séchais, ne supportant plus de les voir couler à flots.
Et puis soudainement, une idée des plus déraisonnables me vint à l'esprit. Si il acceptait, j'aurais peut-être un endroit où dormir ce soir. Ou du moins me réfugier. Cela devait être (et de loin même) la pire idée du monde, car elle ne ferait que raviver d'anciennes cicatrices que le temps avait si bien réparées. Mais à présent, une cicatrice de plus ou de moins m'était totalement égal. Le seul "hic" était que cet endroit se situait à environ quarante-cinq minutes en voiture, de l'endroit où je me trouvais actuellement. Je pourrais continuer à marcher mais je pense honnêtement que cette fois mon mental ne suivrait pas. La seule et unique solution qui se présentait à moi , était donc : trouver un véhicule. Je n'allais pas voler, évidemment que non, mais je pouvais très bien faire du stop en espérant de tout cœur qu'une âme charitable vienne me porter secours. Or, il était fort possible qu'aucune âme charitable ne passe par là. Ou bien alors, il se pourrait qu'une poignée d'entre-elles passent, mais ne remarquent pas la jeune fille perdue, avec son pouce levé timidement et ses bottes (auparavant cirées) remplies de boue qui se présentait au bord de la route.
Je chassais ces idées néfastes d'un revers de la tête, et commençais sans plus attendre ma longue prière silencieuse afin qu'un véhicule s'arrête très bientôt dans ma direction.

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