Un jeu d'enfant

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Aujourd'hui c'est l'anniversaire de mon premier amour. Celui que j'ai rencontré à l'école primaire, il y a si longtemps. Nous étions les deux petits intellos de la classe, toujours à parler du nouveau livre que nous avions lu pendant le week-end. Chaque semaine, nous nous rêvions astronautes, pirates, chevaliers ou bien explorateur. Mais le métier qui nous faisait tous les deux rêver, c'était celui d'écrivain. On avait fait la promesse de ne jamais se séparer et que nous serions les premiers écrivains du monde à écrire des aventures à quatre mains. On voyait déjà nos deux noms sur la couverture de notre livre, avec un commentaire des plus sobres : Roméo et Julien, les deux auteurs à succès sont de retour avec un nouveau livre, encore meilleur que le précédent.

Je souris en repensant à toutes ces conversations innocentes, à tous nos projets balancés sans sérieux autour d'un goûter. L'innocence d'un enfant s'évapore tellement vite. Les années passent et la différence dérange. Roméo n'avait pas changé au fil du temps, toujours fidèle à lui-même, son rêve et notre promesse bien en tête. Je l'admirais pour ça, pour son courage d'être lui face aux regards durs et sévères qui se posaient sur nous. Il adorait me faire des câlins le matin comme un léger bonjour et le soir pour un dernier au revoir. Si j'avais su, j'aurais profité de ces étreintes, de ses boucles dorées qui caressaient mes joues. Si j'avais su, je l'aurais protégé aussi fort que l'était mon amour pour lui. Mais je n'en ai pas eu le courage ni la force. Alors j'ai laissé les moqueries, les bousculades, les insultes, définir ses journées de notre dernière année en primaire. Il ne ratait jamais un jour d'école mais petit à petit l'éclat dans ses yeux s'est éteint et son sourire se faisait de plus en plus rare. Je savais qu'il souffrait de cette situation. Mais les mots des autres ont tellement de pouvoir lorsqu'on est enfant, que j'avais peur d'en être victime aussi. Mon amour pour lui et son amour pour moi semblait tellement évident, que je ne comprenais pas cette haine qu'on nous jetait au visage. Alors j'ai changé, comme on change tous, je fessais tout pour qu'on me voit comme un vrai garçon. Je délaissais les livres pour le foot, je ne parlais que de sujet pour les garçons. Petit à petit j'effaçais mon vrai moi, pour qu'on me laisse tranquille, que je sois normal à leurs yeux. Roméo n'a jamais cessé d'être Roméo. Et on lui en voulait pour ça.

Je repense à son sourire en sortant de chez le fleuriste, un beau bouquet de tournesol dans la main. Je revois ses yeux bleus intenses qui m'ont charmés. Je me rappelle avoir demandé à maman si ce que je ressentais pour Roméo était normal, elle m'a sourit et dit une chose que je n'oublirais jamais : "mon chéri, l'Amour ne possède pas de règle. Il est si pur que tu as la chance de tomber amoureux de qui tu veux. L'Amour reste l'amour, rien de changera ça."

Je pousse les grandes grilles métalliques le cœur lourd et la tête pleine de souvenirs. Je marche dans les petits chemins définis au fil du temps, connaissant par cœur le parcours. Je m'arrête devant lui, mon premier amour, qui m'attend chaque année pour son anniversaire. Je dépose le bouquet de ses fleurs préférées en dessous de la photo que ses parents ont choisi il y 10 ans, celle où il arbore son éternel sourire et où ses yeux fixent l'objectif avec tendresse.

"Je te souhaite un joyeux anniversaire Roméo. Tu aurais eu 22 ans aujourd'hui. Tu me manques et encore une fois je te demande pardon de ne pas avoir compris que ton câlin d'au revoir serait le dernier. J'ai rencontré quelqu'un. Il te ressemble, il veut devenir libraire et aimerait être le premier à vendre mes livres. Je n'ai pas oublié notre promesse. Je reviendrai. Je ne t'oublirais jamais."

Je m'éloigne de la tombe, une larme coule sur ma joue mais je sais ce que je vais écrire pour mon prochain livre : les mots peuvent tuer, le harcèlement n'est pas un jeu d'enfant. L'amour ne devrait pas être un sujet de moquerie, car je ne connais pas sentiment plus pur que celui là. On n'a pas le droit de mourir parce que les autres n'acceptent pas notre liberté d'aimer. L'Amour reste l'Amour. 

Bonne ou mauvaise nouvelle ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant