Un tableau comme les autres

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1889, asile de Saint-Paul-de-Mausole.

Devant sa toile blanche, c'est le néant. Aucune inspiration, pas la moindre image à coucher sur le papier granuleux. Le peintre sait qu'il ne lui reste que quelques jours avant la date butoir donnée par son mécène, le roi néerlandais Guillaume Ier. Il sait qu'il doit produire le tableau de sa vie pour ce client prestigieux. Cela pourrait être le tremplin qu'il a toujours attendu, la toile qui le rendra célèbre dans tout le pays en étant modeste, dans le monde entier en étant optimiste.

Il se place face au paysage nocturne, espérant du ciel une illumination. Il n'est pas croyant, mais ce soir il pourrait prier tous les dieux. Il soupire en ouvrant les battants de verre, levant les yeux sur les étoiles qui sont exceptionnellement belles ce soir. Il masse inconsciemment sa tempe, comme pour faire germer une idée dans son esprit torturé. La crise de nerf qui l'a amené ici, a posé un certain frein à son outil de travail qu'est son imagination. Il a maintenant besoin de plus de temps, plus de stimulus extérieurs pour décrire ce qui lui passe par la tête. "La nuit est beaucoup plus vivante et richement colorée que le jour." A cette pensée, c'est la révélation, il va peindre ce paysage qu'il admire depuis son arrivée à l'asile.

La toile blanche prend enfin vie sous les coups de pinceaux. Bientôt, le bleu domine, dansant harmonieusement avec les pointes de jaune. Comme habité par une force divine, le peintre, en transe, ne ressent pas la douleur qui irradie ses doigts qui emprisonnent furieusement la tige de bois. 4:44 à la pendule et c'est le point final, le balais noctambule cesse et un discret sourire se dessine sur le visage de l'artiste. Il recule, passe sous son œil critique tous les détails, pince les lèvres et plisse les yeux, parfait n'est pas le mot mais il est satisfait.

Quelques jours plus tard, l'ouvrage jusqu'à lors encore sur son chevalet, se retrouve au sol avec divers objets victime de la colère de l'homme en proie à une nouvelle crise de nerf. Son esprit malade prive Guillaume Ier de sa commande et le peintre de sa gloire. La chambre resta dans cet état même après le suicide de l'artiste. L'œuvre de sa vie devient l'œuvre maudite de sa chute.

1941, New York.

Malgré le début de la seconde guerre mondiale, c'est en grandes pompes que le maire de la Grosse Pomme, inauguré avec fierté la nouvelle acquisition du Museum of Modern Art. De nombreux photographes et membres de presse sont présents. Les visiteurs se pressent à l'ouverture pour voir de leur propre yeux le chef-d'œuvre de l'artiste européen. Beaucoup d'exclamations, de compliments et de commentaires experts, rendent hommage au talent et à la signature singulière du peintre. Le New York Times fera, le lendemain, une belle place dans son édition, avec une double page, à La nuit étoilée de l'incontournable Vincent Van Gogh. 

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 26 ⏰

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