La lettre

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Je soupire lorsque je ferme les portes de ma librairie. Ce fût une longue journée, beaucoup de clients donc beaucoup d'efforts pour sourire. Le froid de la soirée me mord le visage et le cou dénué d'écharpe. L'hiver est bien avancé. Je rentre la tête dans mes épaules pour me protéger tant bien que mal. Mais le vent est traite, je frissonne sous mon manteau. Je décide de passer par le parc pour rentrer, j'ai besoin de voir de la verdure et d'entendre la nature après le brouhaha des clients. Mon souffle fait une petite fumée fantomatique, mon nez est rouge mais je me sens enfin bien. Les arbres sont de toutes les couleurs, perdent leurs feuilles jour après jour, se transforment en esquisse tout doucement. Je souris, malgré le froid et la nuit qui se rallonge, j'aime l'hiver. Les paysages sont magnifiques dans la région et les personnes sont toujours plus gaies lorsque les fêtes de fin d'année approchent. J'ai déjà hâte de décorer ma librairie aux couleurs de Noël.

Je m'assois sur un banc, près du chemin principal. J'observe les gens pressés de rentrer se mettre au chaud. J'écoute le bruit du vent dans les branches déjà nues. Un petit bout blanc sous mon assise attire mon attention. Je me penche et le ramasse. C'est une enveloppe, sans aucunes indications, pas un ersatz d'adresse. Je sens au toucher qu'il y a une feuille pliée dedans. Cela m'intrigue, j'ai l'impression d'être dans un des romans que je lis. C'est plus fort que moi, je dois savoir ce qu'il y a à l'intérieur. J'ouvre délicatement l'enveloppe pour ne pas la déchirer et j'en sors la feuille pliée en quatre. Je la déplie et je commence à lire ce qui semble être une lettre. Le titre me fait froncer les sourcils : "Lettre de démission". Cela ne ressemble pas à une ce genre de lettre, elle est manuscrite et beaucoup trop informelle. Je commence alors ma lecture pour étancher ma soif de curiosité.

" Lettre de démission.

Je n'ai jamais aimée le mot que tout le monde emploie. Il est tellement violent et vide de sens. Alors que celui de "démission" est plus parlant. Je démissionne de ce monde. Toi qui lis cette lettre, que penses-tu de cette façon de le dire ? Que penses-tu de la vie ? Es-tu heureux/se ?

En ce qui me concerne, si tu lis cette lettre, c'est que la vie m'a eu ou qu'elle n'a plus voulu de moi. Tu sais, j'ai essayée, tellement essayée. Mais j'ai un monstre dans la tête qui m'empêche de réfléchir. C'est l'enfer tous les jours dans mon esprit. J'ai comme un gros nuage noir qui brouille ma vision, qui noircit mon monde. Les fleurs du printemps sont toutes grises, alors que j'adore les fleurs de toutes les couleurs. Le soleil d'été n'est pas aussi clair que pour les autres. En ce moment, la fin de l'automne m'entoure mais je ne vois pas sa beauté. Je suis assise ce sur banc, regardant le monde tourner sans moi. Si je disparais, le monde resterait le même. Si je n'étais pas sur ce banc, le parc serait pareil. Je ne change rien dans ce monde qui ne veut tout simplement pas de moi.

La vie est un être méchant et sans pitié. Elle ne laisse pas de place aux esprits comme le mien. La vie... Quel étrange concept. Je n'ai pas demandée à naître avec ce bout de puzzle manquant dans ma tête. Je ne comprends pas le but de la vie. Quel en est le sens ? Je ne le saurais probablement jamais. La vie est si cruelle mais la mort tellement belle. Je sais que tu ne dois pas être d'accord avec cela. Mais, pourquoi la mort serait l'être cruel ? Elle ne fait que poser un repos éternel sur ceux qui sont trop fatigués pour la vie.

Je n'ai pas trouvée ma place dans ce monde. J'ai pourtant cherchée. Tellement cherchée. Mais voilà, je suis là aujourd'hui et je sais que c'est la dernière fois que je vois le soleil se coucher.

Tu dois te dire que je suis jeune et que j'exagère, que je pourrais encore me battre. Qu'il y a pire que moi. Tu as sûrement raison. Mais quoi que tu dises, à la fin de cette lettre, je ne serais plus là. Ma décision est prise, pas depuis longtemps, mais elle est réfléchie.

J'écris en fin de journée. Cette dernière fût épuisante. J'ai dû sourire toute la journée, faire semblant. Et j'en ai marre de faire semblant. Je perds mon temps à rester vivante. C'est marrant dit comme ça tu ne trouves pas ? Je sais, ce n'est pas drôle mais il faut bien détendre atmosphère.

Tu dois te demander pourquoi tu tombes sur cette lettre ? Pourquoi je ne l'ai pas donnée à mes parents ? Je préfère me confier à un/e inconnu/e. C'est étrangement plus facile. Mes parents seront peut-être tristes un petit moment, mais finiront par laisser le temps faire son œuvre. Je sais qu'au fond d'eux, ils savent que je ne vais pas survivre encore longtemps. Je suppose que ça doit être leur super-pouvoir de parent de savoir ce genre de chose sans en parler. Et puis, mon petit frère est encore jeune, ils pourront l'aimer davantage quand je ne serais plus là.

Mais pourquoi aujourd'hui me diras-tu. Parce que le monstre est devenu trop imposant. Il a réussi à gagner la guerre. Mes amies ne veulent plus d'un automate morose à leurs côtés. Je comprends, je ne suis pas d'une bonne compagnie. Mon sourire forcé, qui n'atteint jamais mes yeux, ne convainc personne. Même pas moi quand je regarde mon double dans le miroir. Je suis née dans une enveloppe vide. Je n'ai pas le souvenir d'avoir déjà été heureuse dans ma courte vie. Mes amies m'ont dit, cette après-midi, que ma négativité était trop pesante pour elles. Je n'ai pas pleurée sur le coup. Mais les larmes ont fini par couler quand je suis arrivée là où tu es. Encore une fois, on me laisse de côté, on me tourne le dos, on me quitte. Je devrais être habituée avec le temps. Mais visiblement ...

Tu arrives bientôt à la fin de ma lettre et par là, à la fin de ma vie.

Pour finir cette missive, je te dirais simplement de profiter de ta vie, sans nuage, sans noirceur. Je sais que c'est ironique que ces conseils viennent de moi, mais je voulais quand même te le dire. On ne me l'a jamais dit. La vie doit être tellement belle lorsqu'elle est désirée. Le monde doit être magnifique avec toutes ses couleurs. Vis ! Vis sans penser au lendemain, sans prendre en compte le regard des autres. Sois toi-même et aime toi !

Reposes la lettre sous le banc, je pense qu'ici est sa place. Je voudrais laisser une trace de mon passage dans ce parc qui semble magnifique.

Je te remercie de m'avoir lu, d'avoir pris un peu de ton temps pour moi. Je te dis adieu.

Bonne route."

Je termine ma lecture, les yeux remplis de perles salées. Mes mains tremblent légèrement autour des mots élégamment écrit. Je n'arrive toujours pas à croire ce que je viens de lire. J'imagine cette jeune fille, assise à la même place que moi, entrain de mettre sur papier ses dernières pensées. Je pleure sincèrement cette âme que je viens de rencontrer et de perdre dans la même heure. Je regarde autour de moi, pour savoir si ce n'est pas une caméra cachée. Mais malheureusement, je dois me rendre à l'évidence, ceci est une authentique lettre d'adieux.

Comme voulu, je dépose de nouveau la lettre sous le banc avant de reprendre la route vers mon appartement. La route me semble plus longue que d'habitude. Peut-être parce que je marche plus lentement, pour regarder tous les détails qui composent le paysage. J'ai l'impression d'avoir le regard de la jeune inconnue posé sur moi. Elle m'accompagnera sans doute pour toujours. Je ne pourrais jamais oublier cette lecture. Je passe devant le cimetière, inconsciemment je suis arrivée devant les hautes grilles métalliques. Je me demande si elle se repose là, à quelques mètres de moi. Sa présence se fait plus forte encore, lorsque je pousse le portail. Je sais qu'elle n'est pas loin.

Après quelques minutes à marcher entre les pierres tombales, j'en trouve une envahie de fleurs de toutes les couleurs. Et là, je sais. Je viens de la retrouver. Je m'approche doucement, comme pour ne pas la réveiller. Une photo me dévoile une jeune fille magnifique aux yeux noisettes et un sourire pétillant. Nadiya Legrand. Son prénom signifie espoir en ukrainien. Un sourire triste soulève mes lèvres. La destinée le lui a arraché, son espoir.

"- J'ai trouvée ta lettre dans le parc. Tu as une plume magnifique. Je ne sais pas quoi te dire. Je suis venue te voir sans réfléchir. J'espère que ton repos te convient, que tu es mieux où que tu sois. Je reviendrais. Je ne t'oublirais jamais Nadiya."

Après plusieurs dizaines de minutes, je repasse les grilles avec un sentiment nouveau dans la poitrine. Une sensation étrange au fond du cœur. Mais ce n'est pas désagréable, je sais que je dois vivre ma vie à fond à partir de maintenant. Je glisse mes mains dans mes poches et regarde le ciel étoilé, un fin sourire sur les lèvres. 

Bonne ou mauvaise nouvelle ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant