14
Au Forum, on boit !
**
Je ne sais pas pourquoi mais le voyage jusqu'à la simulavie du Forum m'a paru plus long que les autres. C'était comme si l'information de notre transfert avait dû batailler pour atteindre le fin fond de la stupéfiante immensité de la Grande Simulation. Tout en prenant en compte l'idée que l'information ne pouvait pas aller plus vite que la lumière – comme absolument toute chose programmée – et qu'en conséquence, l'idée que l'on se faisait du fin fond de la stupéfiante immensité de la Grande Simulation était absolument erronée.
Les divers programmeurs en charge de la réalisation de la simulavie du Forum n'avaient pas pris soin de programmer un monde entier afin de favoriser l'attention aux détails les plus imperceptibles pour l'œil humain.
Il n'y avait qu'un petit coin de nature resplendissante ainsi qu'un immense bâtiment, magnifique. Au loin donc, c'était un enchevêtrement de pixels, détail qui selon NBC01 était récurrent dans bien d'autres simulavies qui n'avaient que des rôles administratifs, judiciaires, pénitenciers, politiques ou parfois ésotériques.
J'ai l'impression d'être dans un tout autre univers programmé au sein d'une autre Grande Simulation. NBC01 est ravi de m'annoncer que tout voyageur arrivant ici se voit inculquer à l'intérieur de son programme une ligne de code bien spécifique lui donnant effectivement l'illusion d'être dans un tout autre univers programmé au sein d'une autre Grande Simulation.
L'extérieur est composé d'une forêt étendue aux arbres somptueux qui ne doivent exister qu'ici, de champs verdoyants et multicolores dont les fleurs et plantes dansent au rythme de vents improbables. Le tout réalisé dans une cohérence programmée qui atteint ici son paroxysme. Je n'ai pas besoin qu'on me le dise mais je sais que cet endroit est l'un des plus importants au sein de la Grande Simulation.
En plus de toute cette perfection, cette nature est ornée de merveilles simulées. D'incroyables oiseaux aux ailes majestueuses virevoltent et entament sans cesse de mélodieuses symphonies. De paisibles animaux aux pelages sublimes se promènent sereinement sans jamais ressentir le besoin de chasser et donc de détériorer cet écosystème parfait. De grandioses insectes font des choses qui me semblent absolument stupides et dénuées d'intérêt mais qui pour eux devaient être vitales.
J'ai l'impression que nos pas résonnent dans l'immensité verdoyante de la nature.
Non, c'est Jerry qui fait un petit bruit à chacun des siens.
J'essaye de comprendre mais je n'y parviens pas.
Il s'excuse et affirme que cela lui permet de se concentrer pour ne pas écraser les jolies petites bêtes parce qu'elles sont trop belles et ne méritent absolument pas qu'on soit là pour les écraser.
Je lui stipule que ce ne sont que des programmes.
Il rétorque que tout n'est que programme.
Je ne sais pas pourquoi cela me touche – la bienveillance naturelle, naïve et communicative de Jerry – mais je me sens obligé de le copier et nous faisons donc des petits bruits étranges à chacun de nos pas.
Nous traversons un long chemin de pierre réalisé par la main d'un Maître-Artisan-Programmeur si cette fonction existe quelque part au sein de la Grande Simulation. Les lieux sont juste incroyables. Je me permets un instant de ressentir cette quiétude, c'est délicieux. Puis nous arrivons à l'entrée du Forum.
Un long escalier de grès verdâtre qui ne monte pourtant pas très haut se présente devant nous. Nous l'empruntons et la sensation ressentie est déplaisante : l'impression que le bout de cet escalier est inaccessible, que notre existence programme défile devant nos yeux.
VOUS LISEZ
La Grande Simulation
HumorQuelle n'est pas la surprise pour Truc de voir débarquer son patron Lucien Steiner et ses trois collègues un dimanche matin, dans sa chambre, pour démarrer leur nouveau documentaire : le monde n'est qu'une simulation informatique absurde et complexe...