Plus grand que nous

8 - New York, janvier 2001 - Rémi

Et subitement, la cannelle et le poivre m'envahissent. Il me faut plusieurs secondes pour réagir. Mon instinct a pris le dessus un instant. J'ai ouvert la bouche et sa langue s'y est engouffrée. Même sa langue sent les épices. Je plonge une main dans sa nouvelle tignasse et tire vers l'arrière. Je gronde en découvrant les crocs.

— You're so fucking drunk surtout ! Redescends, Chris, qu'est-ce que tu fous ?

Il n'a pas lâché ma chemise. Son regard soutient le mien, et je n'arrive pas à savoir s'il a bu au point de ne plus savoir ce qu'il fait, ou s'il est seulement un peu trop désinhibé. Ses prunelles noires me sondent et il ne dit plus rien. Je dois maintenir mon air sévère, il faut qu'il comprenne qu'il ne peut pas faire ça putain ! Je suis responsable de lui, c'est ultratoxique ce qu'il voudrait vivre. Il peut tout à fait trouver quelqu'un d'autre à aimer, il y a l'air d'y avoir des volontaires à la pelle dans son entourage au lycée. Rien que ce soir il a embrassé deux personnes, et j'en ai repéré au moins une autre qui les regardait d'un air envieux.

— Je vérifie.

— Hein ?

Putain, il essaie encore. Mais je le tiens toujours par les cheveux et je resserre ma prise. Son souffle brûle ma peau. Bon sang, mais qu'est-ce qu'il cherche à faire ? Je ne comprends pas. Il s'abandonne totalement maintenant, et je dois passer un bras dans son dos pour le retenir. Il tremble.

— Je suis désolé, Rémi. Je... J'ai trop bu, ok ? Oublie. Je suis désolé. Pardon. Pardon.

Et... maintenant il se barre en courant. Putain, est-ce que j'étais aussi incompréhensible quand j'avais son âge ?

La porte de sa chambre claque et je file vers la salle de bain. J'ai besoin d'une douche. J'ai crevé de chaud dans mon costard toute la soirée, et il me tarde de remettre des vêtements confortables. Je ne me sens pas capable d'aller lui parler tout de suite. Et s'il me trouve vraiment « so fucking hot » en costume, c'est probablement mieux que je n'aille pas le voir dans cette tenue. Je me dessape le plus vite possible et me jette sous la douche. Il a seize ans, putain. Est-ce qu'il pourrait focaliser ses hormones sur quelqu'un de son âge ? Ça serait plus simple pour tout le monde. J'ai pas envie de lui briser le cœur. Son regard juste avant qu'il s'enfuie... Bon sang...

J'aimerais tellement qu'il trouve un équilibre. Il a une force hors du commun, même s'il ne s'en rend probablement pas compte. Son monde a été retourné, et il continue de s'adapter. Il est quasiment orphelin, il est à l'autre bout du monde, et il avale ça comme si de rien n'était. J'aurais aimé avoir cette force là à son âge, quand mon monde à moi s'est effondré.

Je coupe l'eau et essore mes cheveux en passant mes mains dedans. Ils commencent à être longs. Pas aussi longs que les tresses que Chris s'est fait poser, cela dit. J'espère qu'il ne va pas vouloir changer de coupe trop souvent, parce que putain c'était interminable, au salon de coiffure !

Bon sang, où est-ce que j'ai foutu ma serviette ? J'aurais dû la poser sur le radiateur avant de me doucher, je me caille maintenant ! Mais quelle idée j'ai eue de la laisser à l'autre bout de la pièce ! Je manque de m'étaler sur le carrelage pour aller la chercher, en plus. C'est vraiment pas ma soirée !

Je me sèche rapidement et enfile mon jogging et mon t-shirt. Chris n'a pas l'air d'avoir bougé. Est-ce qu'il s'est endormi ? Pourtant j'ai l'impression d'entendre du bruit dans sa chambre et la lumière est éteinte. Est-ce qu'il... Il n'est pas en train de faire ce que je crois, hein ? Pitié, pas tout bourré et juste après m'avoir embrassé ! Ça voudrait dire qu'il pense à moi et ça... ça n'est pas possible. Il faut que j'en aie le cœur net. Et puis il avait trop bu, il faut que je vérifie s'il va bien. Je toque à la porte.