9 - New York, janvier 2001 - Christopher

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— Je... Je...

Putain, mais on dit quoi à quelqu'un qui nous balance ça tranquille au réveil ? Mais réagis Chris, dis quelque chose ! Qu'est-ce que je dois dire ? Qu'est-ce que je dois faire ? Merde, on dit quoi à quelqu'un dont un membre de la famille a été assassiné ? Assassiné, bordel, c'est même pas un accident quoi, c'est un meurtre. Putain tu m'étonnes qu'il soit devenu garde du corps après ! Je dois dire quoi ? Je dois dire quoi ?

— Chris ? Panique pas, viens là.

Il m'attire entre ses bras et j'inspire enfin. Je n'avais même pas senti que j'étais en apnée. Que mon cœur battait à toute allure. Que la panique me gagnait à nouveau. Je crois que je ne pourrais plus jamais détester l'odeur de la menthe, quoi qu'il nous arrive maintenant. Il m'a enlacé. Il me tient contre lui. Je sais que je ne devrais pas jubiler pour ça, pas maintenant, mais je ne peux pas m'empêcher de... d'être content. D'être heureux, même, dans ses bras. De sentir ses phéromones, qu'il diffuse rien que pour moi.

Oh. Qu'il a dû apprendre à maîtriser si bien pour... pour son frère...

— Je suis désolé.

— T'as pas à être désolé. C'était y'a six ans, presque sept, et t'y es absolument pour rien.

Il me frotte doucement le dos. Je me blottis contre lui et je savoure.

— Tu veux... Tu veux m'en parler, ou pas ?

Il soupire. Passe une main dans ses cheveux. Je devrais sûrement m'éloigner et lui laisser un peu d'air, mais j'ai besoin de ses phéromones. Je crois.

— Bien sûr que je peux t'en parler. Je ne l'aurais pas mentionné, sinon. C'est juste... Un peu difficile, OK ?

Je hoche la tête contre lui. J'ai entendu que son cœur battait un peu plus vite, un peu trop vite, mais je ne dis rien et je ne bouge pas. Il ne me chasse pas. J'inspire ses phéromones. Il me serre contre lui, et je suppose que c'est parce qu'il pense à son frère, et qu'il faisait comme ça avec lui. Sûrement. Il faut que j'arrête de m'emballer comme une princesse de contes dès qu'il me touche un peu. C'est son boulot de veiller sur moi. Je suppose que gérer mes crises d'angoisse ça en fait partie, à ses yeux.

— Je t'avais dit que j'avais déjà vécu aux USA. En réalité je suis né ici, comme mon frère et ma sœur. Mon père Oméga a reçu une bourse pour aller étudier en Californie et mon père Alpha l'a suivi. Le pays leur a plu, ils ne sont plus jamais rentrés. Enfin sauf en vacances quoi. Et puis mon papi est tombé malade et il était déjà veuf. On a... on a dû déménager en France pour s'occuper de lui. J'avais dix ans. Clément quatorze et Clara six. Imagine un Oméga de ton lycée, de ton âge, qu'on balance dans un lycée français ?

Je n'ose pas trop imaginer. Je n'ai jamais été à l'école dans notre pays. Mais vu la domination qu'exercent les Alphas chez nous, je suppose que ça n'a pas dû être facile pour son frère. Je pense aux Omégas que je connais ici, à leur manière d'être, ouverts, confiants, enfin autant que n'importe quel autre ado de n'importe quel genre. J'essaie de les imaginer face à... celui que j'étais il y a six mois, face à des dizaines de gens comme ça.

— Ça a dû être l'enfer...

— Il a fini par apprendre à se taire quand il s'est fait agresser une première fois dans son lycée et que personne n'a rien dit. Rien fait. Les Alphas qui l'avaient frappé n'ont eu aucun problème. Clément est retourné à l'école et s'est fait petit. Il s'est fait des amis et a vécu comme tous les ados omégas du pays. Il a fini par se mettre avec un Alpha. Ils s'adoraient. Enfin ça donnait cette impression. Petit à petit, on a bien vu que... il faisait tout son possible pour coller à l'image que son mec voulait donner. Il a cessé de sortir. De se maquiller. De voir ses amis omégas. Il a accepté une morsure alors qu'ils étaient même pas majeurs. Et dès la fin du lycée ils se sont installés ensemble. Mes pères ont tout fait pour le dissuader, mais il était totalement sous emprise, surtout depuis la morsure. Il débarquait régulièrement à la maison en panique. Avec des bleus sur le corps. Il restait un jour ou deux, et puis il rentrait chez eux. Jusqu'à la fois suivante. Mes pères ne pouvaient rien faire, Clément était majeur et mordu par son Alpha. Techniquement, cette raclure avait tous les droits sur lui. Mais Clément a fini par comprendre, et quand le rut de son Alpha s'est approché, il l'a quitté pour ne pas être mordu encore une fois. Ça a été dur. J'ai dû apprendre à gérer mes phéromones très vite, tout de suite. Dès mon premier rut, qui bien sûr est arrivé quasiment en même temps. Au début il était encore lié à lui, je le rendais malade. Et quand ça a été fini, il ne supportait que celles de mes pères et les miennes pour apaiser ses crises d'angoisse. Il ne sortait plus de la maison. Il avait peur de tout. Je devais me doucher dès que je rentrais du lycée pour ne plus sentir aucune odeur d'Alpha. Son ex nous harcelait au téléphone. L'attendait devant la maison. Mes parents ont fini, après une énième plainte, à faire qu'il n'ait plus le droit de s'approcher de chez nous. Avec beaucoup de temps, Clément a repris goût à la vie, et petit à petit, il a même pu sortir à nouveau, avec nous. Puis tout seul, juste au bout de la rue. Il allait acheter le pain le matin, c'était sa petite victoire personnelle. Et puis un matin, il n'est pas rentré.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 11 ⏰

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