CHAPITRE 1 : Ce monde auquel je n'appartiens pas

139 5 5
                                    

CHAPITRE 1

CE MONDE AUQUEL JE N'APPARTIENS PAS

J'aimerais pouvoir m'enfuir. Être ailleurs. N'importe où, sauf ici. J'écoute en silence les conversations autour de moi mais je ne réagis pas. Observer tous ces gens se pavanant au brunch organisé par Grand-Mère est devenu un véritable passe temps. Leurs postures maniérées et leur vocabulaire alambiqué m'irritent au plus haut point. Je ne peux pas m'empêcher de les mépriser, consciente de leurs comportements hypocrites qu'ils pensent dissimuler sous leurs accoutrements outranciers et ridicules. Leurs voix criardes et stridentes sont tout simplement insupportables. Pourtant, je continue à les scruter pendant de longues minutes, jusqu'à ne plus savoir si c'est eux qui sont en représentation ou si c'est moi qui n'arrive pas à être comme eux.

Cinq heures se sont écoulées depuis que les festivités ont commencé. Je sens le corset de ma robe serrer ma poitrine. Je souffre en silence pour ne pas montrer ma douleur en public, affichant brièvement un sourire sur mon visage. Mais impossible pour moi de faire semblant. Je n'y arrive plus... Il y a trop d'informations autour de moi. Je ne sais plus sur quoi me concentrer et tout devient irritant. Entre les diverses discussions, le bruit des couteaux en argent qui grincent dans les assiettes en porcelaine, les verres en cristal qui s'entrechoquent. Les bruits de mastications de mes voisins de tables. Le crissement des pieds des chaises sur le carrelage quand un invité se lève pour se resservir au buffet. Les enfants en bas-âge qui pleurent sans que leurs parents n'interviennent et ceux en capacité de parler qui chahutent et courent au milieu de la grande salle, jouant bruyamment sans se soucier du volume sonore. Sans compter les lumières artificielles blanches des lustres suspendus, allumés en plein milieu de la journée, inutiles et insupportables pour ma rétine. Ajouté à cela, l'orchestre qui anime le repas de ses mélodieuses notes de jazz que j'aurais pu apprécier si tout cela n'était pas devenu un immense brouhaha.

Je dois prendre sur moi mais c'est difficile. Devoir me contrôler est très dur car j'ai envie de crier mais mon corps lui, se fige et j'endure ce vacarme assourdissant. Je sens les larmes qui commencent à monter. Il faut que je me calme. Je baisse la tête pour dissimuler cette tension sur mon visage et me mords les joues pour faire redescendre ce trop-plein d'émotions qui me submerge. Je ne peux pas craquer, pas maintenant. Je ne veux surtout pas leur donner raison, montrant que je suis une petite chose trop fragile qui se brise à la moindre occasion dès que quelque chose la touche. Il faut que je tienne bon. Il le faut.

Grand-Mère m'a demandé de faire des efforts car elle sait que j'ai tendance à disparaître en plein milieu des événements mondains sans aucune explication. Mais aujourd'hui c'est différent, puisque ces gens que je connais à peine, sont venus spécialement pour fêter mon seizième anniversaire. En réalité, j'ai seize ans depuis deux jours mais comme les brunchs chez les Malagasy c'est le dimanche, il faut respecter les traditions.

A seize ans, on est encore à la table des enfants ! Il y a plusieurs jeunes de mon âge mais je n'ai rien à leur dire. Ils fréquentent tous l'école privée de Hazen. Établissement réservé aux Premiums qui rassemble le collège et le lycée le plus prestigieux de la ville. Toutes les conversations tournent principalement autour de cette école et comme j'ai décidé de suivre ma scolarité au lycée général public dont l'accès est également ouvert aux Citoyens, je ne suis pas intégrée dans leur conversation. On pourrait partager nos expériences de lycéens mais apparemment cela ne les intéresse pas. Savoir que je fréquente « le monde d'en bas » les terrifie. Il pense sûrement que je risque d'attraper une maladie contagieuse. Du moins c'est ce qu'ils me laissent penser en me dévisageant comme une pestiférée. On ne se parle pas de tout le repas. Ils ne me posent aucune question et continuent leur discussion sans me prêter attention.

DrakerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant