28. Prudence chance (1/3)

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Je me surprends à guetter l'action de la poignée de la porte d'entrée pendant près de deux heures, depuis que Fiona est partie dans la voiture de Martin en direction de la maison de mes parents. Chaque instant, je m'attends à voir la porte s'ouvrir, si bien que mon cerveau et mon corps sont incapables de fournir de l'énergie pour autre chose qu'attendre. Et lorsqu'elle s'ouvre enfin, je bondis sur mes pieds, m'écarte de l'îlot de cuisine, et fais un pas en direction de l'entrée.

Très vite, je tombe sur le regard baissé de Fiona, et je fronce les sourcils.

Son visage est blanc, trop blanc pour être naturel, ses traits sont lisses, sans pli et sans remous, comme si elle portait un masque hermétique. À cette vue, je sens une pierre tomber au fond de mon estomac, j'avance vers elle, sans attendre qu'elle ait posé son sac et mon manteau.

— Fiona ? l'appelé-je, hésitante. Tout va bien ?

Elle enroule ma large écharpe en cachemire autour d'une patère, et pousse un soupir, tandis que ses épaules s'affaissent.

— Je suis désolée, Pru.

Sa voix est étiolée, effacée, comme si l'on avait tiré, tiré sur elle jusqu'à la briser. La ligne contrariée sur mon front se creuse encore plus.

— Pardon ? Désolée pour quoi ?

Elle laisse tomber les clés sur le petit meuble dans un grand fracas, sa négligence achève de torturer un peu plus mes entrailles.

— Fiona, qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— Ta mère sait.

La main que je tendais vers elle s'immobilise, mes doigts se crispent dans l'air.

— Comment... Comment ça ? bégayé-je. Elle sait quoi ? Que ce n'était pas moi ?

Fiona ouvre la bouche, ses yeux s'éclairent pendant un instant, et elle hoche la tête. J'ai l'impression de voir un poids peser sur ses épaules, aussi lourd que la lassitude du monde.

— Alors, déjà ça, oui. Elle a capté que c'était pas toi, mais si ça peut te rassurer elle m'a pas foutu la honte devant ton père et Daniel, elle a attendu qu'on soit toutes les deux pour le dire.

La terreur qui engourdit ma langue finit par se dissiper légèrement, assez pour me permettre de répondre d'une voix pâteuse :

— Et... comment est-ce qu'elle a su ?

— Bonne question. J'en ai aucune idée. Mais ça servait à rien de nier, elle savait ce qu'elle disait et elle m'a pas laissée trop parler.

Elle évite mon regard tandis qu'elle passe à côté de moi pour se laisser tomber sur le large canapé. Je me retourne lentement, avec l'intention de l'imiter, mais je me fige au milieu du salon, le regard rivé sur le sol.

— Non, tu as bien fait de ne pas essayer de nier, ça n'aurait servi à rien. Mais tout de même, je me demande ce qui t'a trahie... Tu n'as rien fait ou dit quelque chose de particulier ?

Fiona secoue la tête, l'air absent, affalée contre le dossier.

— Nan. Et j'crois vraiment qu'elle avait capté dès le début, avant même que j'rentre en fait. Elle m'a regardée bizarre dès le début.

Mes sourcils se froissent de plus belle, tellement qu'ils réveillent des plis désagréables sur ma peau.

— Je ne comprends pas. Personne d'autre n'a remarqué quoi que ce soit, alors pourquoi est-ce qu'elle...

— Ben, à défaut de sonner super cliché, y a tout ce délire de « une mère ressent ces trucs, elle peut reconnaître son enfant entre mille » blah blah blah.

Ceci n'est pas un kidnappingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant