"Ta voix me manque, Nao."
Les êtres humains ne peuvent capter que des ondes sonores comprises entre une intervalle restreinte, entre vingt hertz et vingt kilohertz, si on veut être précis. Une intervalle assez insignifiante comparé à l'étendue de l'échelle globale, mais cette intervalle nous a suffit à produire de bien douces mélodies. Des mélodies que tu passe des heures à écouter, assise dans le vieux fauteuil en tissus situé près de la fenêtre de notre salon. Et malgré cela, tu te plains de ne plus entendre ma voix qui, pourtant, est loin d'être une mélodie.
Tu veux des mots, probablement des mots rassurants l'état de ta situation, parce qu'aujourd'hui, ta vie est réduite à une situation. Tu ne comprends pas. Même maintenant la raison de ma conduite t'échappe. A quoi bon ? Pourquoi user d'un muscle dont les actions ne me satisferont en rien ?
Tu m'épuises, je te consacre chacun de mes souffles mais tu n'en veux point. Tu demandes quelque chose d'inutile et épuisant, comme une enfant faisant une crise pour obtenir un jouet cassé. Tu tapes du pieds, les yeux larmoyants. Tu uses de ma fatigue et de mon amour pour toi pour te sentir mieux, tu uses de chaque muscle sculptant mon corps et de chaque pensée pesant mon esprit.
Je me tais, car je n'ai aucun mot rassurant pour toi. Je me tais car j'ai peur de manquer ne serait-ce qu'un bref échantillon de ta voix. Je suis effrayée par la possibilité que l'un de tes appels au secours puisse m'échapper. Pourquoi user de mes mots quand les tiens me sont bien plus précieux ? J'essaie de préserver le reste de mon énergie pour subvenir à tes éventuels derniers besoins alors laisse moi être aussi silencieuse que je le juge nécessaire. Dans le silence, j'ai plus de facilités à entendre tes mouvements, je suis rassurée à chaque fois que je t'entends expirer. Je sais alors que tu es là, je sais que tu n'es pas encore partie. Laisse moi cette aisance, laisse moi cette certaine tranquillité d'esprit. Parfois je me permet de fermer les yeux et de poser ma tête sur mes bras croisés quand je t'entends jongler avec les touches du piano. A ce moment, la peur de te voir disparaître à l'instant où je cligne des yeux s'atténue. Mes nerfs s'apaisent en quelque sorte et je me permet de remémorer nos anniversaires et fêtes de noël passés ici, dans cette pièce lugubre. Un petit sourire se trace parfois sur mes lèvres fortement gercées quand je me souviens de toutes les fois où tu as trébuché dans nos escaliers.
Je n'ai plus que ces courts moments de bonheur, j'essais de m'habituer à cette situation merdique du mieux que je le peux. J'essais d'envisager un avenir pour moi, puisque t'y insiste tant. Alors, pour l'amour du Dieu que tu prie chaque matin, laisse moi demeurer maîtresse de mes cordes vocales. Je ne veux pas ressentir la vibration dans ma gorge, je ne veux pas entendre le son de ma voix, je ne veux pas des mensonges qui m'échapperont l'instant où j'aurais céder à ta requête.
Parles, cris et chantes autant que tu le voudras, je t'écouterai les deux oreilles et le cœur grands ouverts mais ne me demande pas de joindre ton orchestre, je n'en ferais rien.