Chapitre 16

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De sa vie, Derek n'avait jamais vu le visage de Stiles changer aussi vite, aussi nettement d'expression. Son regard ? D'une froideur incroyable, une froideur si forte qu'il était... Etrange de voir habiter ses prunelles. Derek connaissait le Stiles déçu, le Stiles énervé, le Stiles triste, le Stiles heureux, le Stiles surexcité... Mais pas ce Stiles-là. C'était comme s'il avait pris une certaine distance, qu'il s'était éloigné de sa propre personnalité pour endosser ce masque particulier et... Déroutant par son intensité. Stiles ne faisait pas semblant. Il était en colère – et Derek se bénit de posséder des sens surnaturels qui lui permettaient d'avoir un train d'avance sur les autres en ce qui concernait la détection et l'analyse des émotions.

Mais le regard glacial de Stiles finit par se poser sur lui après avoir sensiblement touché la directrice. Son air satisfait s'était quelque peu évanoui – elle était décontenancée. Derek aussi.

- Derek, va récupérer Eli et ramène-le à la voiture.

Stiles n'avait même pas besoin de rajouter « tout de suite » tant son ton le traduisait bien. Et si la première réaction de Derek fut de vouloir refuser et lui demander ce qu'il lui prenait, il ne dit rien. Son instinct le poussa à ne pas le contredire et à l'écouter ou du moins... Partiellement. Ici, il ne connaissait rien et mourait d'envie ou plutôt de besoin de comprendre ce qu'il se passait. Il ne comprenait pas ce qu'avait voulu dire cette femme au nom ennemi mais Stiles, si. Alors, l'idée qu'eut soudainement Derek le conforta dans sa décision de ne pas insister pour rester. Ce qu'il lui fallait, c'était des informations.

Et il en aurait.

Sans un regard pour la directrice, il sortit de la pièce, ferma la porte derrière lui. Se plaça juste à côté. Attendit un peu.

Du silence, puis les langues se délièrent. Et c'est Stiles qui ouvrit le bal d'un ton tout aussi froid que l'avait été son regard :

- Si vous m'avez fait appeler pour déverser votre homophobie, cette entrevue n'a pas lieu d'être.

Le son était étouffé du fait que Derek se trouvait désormais hors du bureau, mais son ouïe surnaturelle fonctionnait assez bien pour lui permettre d'entendre et de comprendre ce qui était dit sans réels problèmes. Et la déclaration de Stiles le surprit... Peut-être un peu plus que de raison. Sans doute parce qu'il s'attendait à autre chose... A une réelle problématique, à l'origine du comportement d'Eli. Or, pour lui, un couple tel que celui qu'ils semblaient former n'était pas nécessairement vecteur de troubles. Si les deux parents s'occupaient correctement de l'enfant et lui imposaient des limites claires, tout était censé bien se passer. Néanmoins, il avait été témoin d'une altercation entre Stiles et Eli, de la façon dont celui-ci le laissait passer ses nerfs sur lui... Ça, oui, ça créait un déséquilibre.

Mais pas la nature même de leur couple.

- Voyons, monsieur Stilinski, cessez de nager dans ce déni qui ne vous va pas.

Derek tiqua. Lorsqu'ils étaient entrés dans son bureau, elle avait appelé Stiles « monsieur Hale ». Pas Stilinski.

- Vous avez un enfant, que vous avez arraché à une pauvre femme qui aurait pu l'aimer de tout son être, soit dit en passant. Au fond de vous, vous savez que votre fils souffre d'avoir cette famille. Il ne grandit pas de façon équilibrée et je ne cesse de vous le rappeler.

Derek perçut le raclement bruyant des pieds de la chaise contre le sol. Stiles l'avait vraisemblablement vivement repoussée pour se lever et sa colère, il la percevait d'ici. Elle était froide, bouillonnante. Quoiqu'elle se confondait peut-être avec la sienne, qu'il réprimait pour continuer de se concentrer sur la conversation. Mais il ne la niait pas.

- Je ne vous permets pas de juger ma famille.

Des mots aussi intransigeants que le ton. Derek apprécia la fermeté de Stiles... Peut-être plus que de raison. Pourquoi diable n'essayait-il pas de faire de même avec Eli ? Certes, le sujet différait, mais le loup-garou considérait que s'il avait la force de s'élever une fois à l'école, il le pouvait à la maison. Sans jamais se montrer violent bien sûr, là n'était pas le but. Simplement, il serait bien qu'il finisse par s'imposer face à son rejeton, lequel comprendrait finalement qu'il n'avait pas l'autorité. Peut-être qu'enfin, il commencerait à le respecter.

- Vous voyez un jugement ? Rétorqua la femme. Je ne fais rien de plus qu'énoncer un constat. C'est drôle... Je n'ai pas ce genre de problèmes concernant le comportement des autres enfants. Pourquoi, à votre avis ?

Derek n'entendit pas Stiles serrer les poings, mais il perçut le durcissement de ses émotions, y comprit le moment où sa colère atteignit un point culminant.

- Parce que le problème est ailleurs mais ça, ça ne vous intéresse pas. Ça ne sert pas cette cause que vous... Défendez. Peut-on considérer ce terme comme juste par rapport à la situation ? Etant donné la façon dont vous étalez votre jugement dégoûtant, je pense que le verbe utiliser conviendrait mieux.

Pause brève. La voix de Stiles était purement et simplement glaciale. Derek continua d'écouter, il pressa même son oreille contre la porte et ce, même s'il entendait parfaitement bien la conversation. Il se fichait de l'air que sa position lui donnait et ne se souciait pas du tout du fait qu'il devrait sans doute se justifier si quelqu'un passait par là et le voyait ainsi : la façon dont Stiles la remettait à sa place le happait.

- Oui, vous utilisez une « cause » pour justifier vos idées nauséabondes. Vous n'avez pas de problème avec les autres enfants scolarisés ici ? Vous vous demandez pourquoi ?

Stiles émit un rire froid et au moment où la directrice commençait à répondre, il la coupa, s'empara de cette parole qui lui revenait de droit :

- La réponse est on ne peut plus simple : vous n'avez pas de problème avec les autres... Parce que vous n'en cherchez pas. La raison ? Ça ne vous arrange pas. Ils ont, pour la plupart, une famille que vous considérez comme « normale »... Alors qu'est-ce que vous pouvez sortir à leurs parents, hein ? Rien, parce que vous n'avez rien. Rien que vous pouvez leur reprocher sans passer pour la femme aigrie et horripilante que vous êtes. Parce que vous avez besoin du soutien de la majorité de ces gens pour continuer d'exercer. Puis... Vous n'aimez pas ce qui n'est pas encore complètement accepté par la société. Vous n'aimez pas la différence, ce qui peut faire tache. Vous avez peur que ça ternisse la réputation de votre établissement... Alors vous faites en sorte d'éradiquer ce que vous considérez comme des impuretés, ce qui ne colle pas à votre misérable vision personnelle.

Derek se dit qu'il aimait finalement tout aussi bien les mots que le ton. La chaleur qui se faisait ressentir à l'intérieur de sa poitrine – et qu'il désira automatiquement ignorer – prit de l'ampleur. Voilà ce qu'il manquait à Stiles, ces derniers jours. De la niaque. De l'énergie. Des convictions. Puis cette flamme qui brûlait en lui si fortement qu'elle ne le blessait pas lui, mais incisait la personne que ses mots visaient. Derek perçut le trouble de la directrice, qu'il avait vraisemblablement rendue bouche bée – et c'était parfaitement normal. Stiles avait axé sa colère sur la froideur, le calme. Il n'avait pas élevé le ton, simplement énoncé son avis agrémenté de faits accablants. Il l'avait percée à jour sans le moindre effort et n'avait pas eu peur de lui faire respirer ses excréments verbaux.

La chaise fit un bruit monstrueux lorsque Derek entendit Stiles la repousser. Il perçut des pas, les siens, et s'écarta vivement de la porte.

I'm Just an Accident Waiting to HappenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant