Ma chère fille,
Tu m'as souvent demandé de te raconter les histoires de ma jeunesse, et j'ai toujours refusé. Aujourd'hui, je suis prêt à te les révéler, car à quinze ans, tu as atteins l'âge que j'avais lorsque mon histoire à commencé. Laisse-moi te prévenir de certaines choses avant que tu ne commences à la lire : ceci va être très long, très triste, très étonnant, et très difficile à lire. Je te demande de me pardonner pour la personne que j'ai été, si tu le peux.
L'air était encore très frais - il est vrai que nous n'étions qu'en avril - et le soleil brillait faiblement. Les arbres mousseux tout autour de moi chuchotaient au rythme de la faible brise vespérale. Tout était si paisible ! Je n'entendais que mon souffle dans l'immense forêt de Thornwoods - j'y étais entièrement seul, profitant peut-être de la compagnie de quelques oiseaux et renards.
Je continuais à marcher pendant une bonne dizaine de minutes lorsqu'une clairière apparut devant mes yeux. Tapissée de feuilles mortes, c'était une minuscule clairière dans laquelle le temps semblait s'être figé. Cette impression si singulière me donna l'envie irrépressible de m'asseoir, de fermer les yeux, et de rester ici, pour toujours.
Je ne me souvins pas m'être endormi, mais lorsque je me réveillais, visiblement plusieurs heures plus tard, la nuit venait de tomber, et une jeune femme aux cheveux blonds se tenait devant moi. Paniqué, je me relevais aussi rapidement que possible et m'éloignais instinctivement.
- Qui es-tu, et que fais-tu là ? hurlais-je, brisant le silence nocturne.
- Mon nom est Hilaria, me répondit-elle, et à moins que je ne me trompe, cette forêt n'est pas ta propriété personnelle. Comment tu t'appelles ? ajouta-elle quelques secondes plus tard.
- Devin. Désolé.
Elle hocha la tête, et je l'observais plus attentivement. Ses cheveux étaient si clairs, si longs et si beaux, mais sa peau était sèche et noircie - je compris immédiatement qu'elle venait du village. Hilaria était vêtue d'une robe crasseuse et étrangement poussiéreuse, comme si la jeune fille avait quelques temps décidé d'abandonner sa vie de souillon avant d'y revenir, résignée. Elle n'était pas très grande, au moins deux têtes de moins que moi, mais semblait forte et déterminée.
- Qu'est-ce que tu faisais, assis tout seul au milieu de nulle part ?
- Euh... Je sais pas trop. Je me promenais et puis j'ai eu envie de m'asseoir, balbutiais-je, étrangement gêné.
- Bel endroit pour s'asseoir, faut bien le dire. Moi, je promenais mon chat.
Alors qu'elle prononçait ces mots, un chat sortit de sa manche. Estomaqué, j'essayais de ne pas trop montrer mon affolement, mais j'étais en réalité absolument terrorisé : Hilaria avait fait apparaître un chat devant mes yeux ! M'efforçant de garder une voix normale, je lui demandais :
- Il s'appelle comment ?
- Poseidon. Je sais, c'est un drôle de nom pour un chat, mais il adore l'eau, alors j'ai pensé que c'était approprié.
Chaque mot qu'elle prononçait me déconcertait un peu plus. Un chat, qui adorait l'eau ? Je me souviens avoir pensé que la faim lui bouffait l'esprit, et que c'était pour cette raison qu'elle avait de si étranges croyances. Cela me fait sourire aujourd'hui - oh, comme j'étais jeune ! Comme j'étais stupide et naïf ! Je m'en mordrais les doigts si cette même naïveté ne m'avais pas sauvé, bien des mois plus tard...
- Il est très beau, lâchais-je en pointant du doigt le félin.
- Merci.
La conversation s'éteignit, et le silence s'installa. Ce n'était pas l'un de ces silences gênants où l'on prie pour avoir une idée de conversation, non; c'était un silence confortable, heureux, serein.
- Je dois y aller. C'est l'heure de la cinquième lune ! m'annonça-t-elle, anxieuse, après quelques minutes de calme. Ce fut un plaisir de te rencontrer, Devin !
Sur ces mots, elle partit en courant. Les cheveux voletants dans le vent, elle continua à avancer jusqu'à ce qu'elle prenne la taille d'une fourmi, puis se dirigea derrière un arbre. Curieux, je restais immobile pour la voir repartir. J'attendis pendant une heure au moins, mais elle ne reparut plus. Tranquillement, je repris alors le chemin du château, l'esprit occupé par ma rencontre avec Hilaria, et me promis immédiatement d'essayer de la retrouver, de toutes les façons possibles.
Dans les années qui suivirent, on m'a souvent demandé si je regrettais cette décision, et je sais que c'est ridicule, mais malgré les problèmes, les décès, les peines, les pertes, trahisons, échecs, combats, malgré toute la douleur qui m'a habité durant ces longs mois d'aventure, je ne regrette rien. Ils m'ont donné une raison de vivre : toi.
Après tout, sans ce voyage étonnant, je n'aurais jamais rencontré ta mère. Je sais que présenté comme cela, on pourrait le croire, mais Hilaria n'est pas ta mère. Ta mère s'appelait Joane, et elle avait les mêmes cheveux que toi : oranges comme le feu.
Je t'aime, ma fille.
Ton vieux père.
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Hilaria
FantasyTrois-cent soixante cinq jours, un couteau de cuisine et un courage indestructible - voilà tout ce dont dispose Devin pour sauver le monde.