4. Isaas

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Que les heures me parurent longues entre la fin de cette étrange réunion et mon retour à Thornwoods ! 

Notre départ était prévu juste après le dîner, un moment de la journée où j'étais certain qu'Isaas se trouverait dans le parc. Il me semblait qu'il s'était passé près d'un siècle depuis la dernière fois que j'avais vu mon ami ; il avait été cloué au lit pendant deux semaines et demi, malade comme un chien. Je ne sais plus exactement quand il s'en était remis ou de quel mal il souffrait - pardonne moi, ma fille, mais après tout, ces évènements datent d'il y a bien trente ans.

Hilaria avait insisté pour m'accompagner, et nous marchions à présent dans la forêt qui avait bercé mon enfance, le silence caché seulement par le crissement des feuilles sous nos pas. Je ne savais pas quoi lui dire, je ne nous voyais aucun point commun, ne trouvais aucun sujet de conversation. Que pouvait-on dire à quelqu'un qui venait d'un monde, qui, je le supposais, était parallèle au sien ? Qu'étais-je censé dire à quelqu'un qui était autant à l'opposé que tout ce que j'avais pu connaître jusqu'à lors ?

Je relevais la tête vers Hilaria, et vis ses grands yeux pleins d'espoirs, qui semblaient me demander pardon, s'excuser que ce soit à moi de faire tout ça, de sauver son monde et abandonner le mien. Je vis également dans ses yeux le reflet de mon visage et aperçus pour la première les émotions paradoxales de la journée déformer mes traits, durcir mes expressions, me donner l'air vulnérable, confus. Instantanément, je détournais la tête, dégoûté de moi-même...

Si tu dois apprendre de mes erreurs, alors apprends de celle-ci ; sois clémente avec toi-même. Il est difficile de se pardonner, d'être avec soi aussi bon qu'on l'est avec les autres, mais c'est une nécessité. Bien entendu, il est également important de se remettre en question, d'accepter et d'écouter les remarques et critiques de ceux qui t'entourent, mais ne devient pas aussi pleine d'amertume et de regrets que je l'ai été. Le temps que j'ai passé sur Terre n'était pas le meilleur de ma vie ; j'ai passé des années d'entière à me reprocher mon manque de courage, mon inutilité, ma passivité. Les années d'après ont été gâchée par une incommensurable culpabilité, un sentiment horrible qui me rendait coupable des crimes atroces desquels j'avais été témoin dans la guerre que j'ai combattu. Je sais que je m'éloigne du sujet, mais je t'en supplie, sois clémente, non seulement avec les autres, mais aussi avec toi-même.

C'est en ayant passé presque deux heures à chercher Isaas que je réalisais pour la première fois de ma vie à quel point le parc du château de mon père était grand. Nous le trouvâmes enfin, assis sous le grand noisetier, tremblotant.

- Reste ici, je vais le chercher, chuchotais-je à Hilaria.

Elle hocha la tête, intriguée, et attendit patiemment quelques mètres plus loin, hors de la vue de mon ami et cousin.

- Isaas, ça va ? lui demandais-je en guise de bonjour.

- Oui, oui, très bien. Je crois que je suis encore un petit peu malade, me répondit-il en reniflant.

Je souris et tendis mon bras pour l'aider à se relever.

- T'étais où ? me demanda alors Isaas, les sourcils froncés.

- Quoi ? Quand ?

- Cet après-midi, personne ne t'as vu nulle part. T'étais où ? répéta-t-il, méfiant.

- Dans... dans la forêt, répondis-je avec hésitation.

Il hocha la tête, visiblement satisfait par ma réponse.

- Isaas, viens avec moi.

- Pourquoi ?

- Fais-moi confiance, suis moi.

HilariaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant