Bien des heures plus tard, mes paupières s'ouvrirent sur le majestueux plafond de la chambre que j'occupais ; entièrement incrusté de coquillages aux couleurs des plus improbables, il était d'une précision et d'une beauté impressionnantes. Dans les minutes qui suivirent mon réveil, j'eus le plaisir de remarquer que certains étaient même sculptés - ainsi, plus l'on passait de temps à l'observer, plus ce plafond dévoilait devant nous ses secrets. Je remarquais des poissons extrêmement détaillés, des princesses au robes savamment décorées ou encore de multiples bateaux à voiles - me connaissant, j'aurais pu rester des heures dans ce lit, juste à observer les oeuvres d'arts qui me surplombaient.
L'atmosphère fraîche et la décoration automnale de la pièce me surprirent pendant quelques secondes, car elles différaient de celles de la veille. Mais je me souviens alors des explications qu'Hilaria m'avait données la veille au sujet de la chambre : équipée d'un sortilège qu'elle appela d'Humeur, la chambre possédait une sorte d'intelligence artificielle qui lui permettait de s'adapter aux humeurs de ses occupants. Ainsi, le cocon doux et chaleureux qui m'avait accueilli la veille était maintenant décoré de meubles de bois sombre et empli de cette odeur de feuilles mortes que j'affectionnais si particulièrement.
Isaas était installé dans la chambre mitoyenne à la mienne, et une porte d'ébène permettait d'y accéder sans passer par le couloir. Après avoir eu le courage de me lever de mon confortable lit, j'y toquais. Mon meilleur ami grogna ; prenant ça comme une indication que j'étais le bienvenu, j'ouvris la porte et explosais instantanément de rire. Il était tombé à la renverse et était allongé par terre, et ce dans la position la moins gracieuse qui soit.
- Isaas, tu dois te lever. Hilaire nous attend en bas dans une dizaine de minutes, lui annonçais-je, me souvenant soudainement de l'horaire fixé par la reine la veille au soir.
- Ouais, ouais... me grogna-t-il en réponse.
Je retournais dans ma chambre et m'habillais à la va-vite, puis, remarquant que mon ami n'avait pas bougé d'un millimètre, je descendis sans lui. En bas des escaliers de marbres m'attendait la reine, un sourire aux lèvres.
- Où est ton ami ?
- Il va arriver, mais je crois qu'on ferait mieux de ne pas l'attendre lui répondis-je en toute honnêteté. Isaas avait toujours eu du mal à sortir du lit.
Hilaria hocha la tête et me fit signe de la suivre. Nous arrivâmes dans une petite pièce aux murs saumon et au sol ocre au centre de laquelle régnait une petite table de bois brut sur laquelle était disposés des couverts en argent. À peine étions-nous installés que des majordomes arrivèrent dans la salle des plateaux sur les bras ; quel copieux petit-déjeuner m'attendait ! On déposa sur notre table des oeufs brouillés, différentes variétés de fromages, du pain aux céréales, du miel, des gâteaux à la cannelle et au gingembre, des figues séchées, des chaussons aux pommes, et j'en passe. Je me servis abondamment et commençais à manger. J'en étais déjà à mon quatrième massepain lorsqu'Isaas descendit enfin. Hilaria entreprit alors de lui présenter chaque plat qui était posé sur la table, et il goûta à tout. Il était ce matin-là beaucoup plus calme et serein qu'il l'avait été le jour avant, même s'il restait dans sa voix une pointe de choc.
Inutile de préciser que ni moi ni Isaas n'étaient ravis quand Hilaria nous fit traverser le château entier le ventre plein. Qu'il avait l'air grand après nous être gavés de pâtisseries ! J'avais du mal à tenir debout tellement j'avais mangé. Je ressentis un immense soulagement lorsque nous pûmes enfin nous asseoir dans une pièce très semblable à celle dans laquelle nous avions mangé mais meublée cette fois-ci de deux bureaux de travail et de quelques chaises.
Quelques minutes après notre arrivée, une femme ouvrit la porte et s'installa devant le plus gros des bureaux, qui faisait face à celui devant lequel Hilaria s'était elle-même placée. Je compris bien vite qu'elle n'était pas humaine ; sa peau était d'un vert translucide et ses cheveux coulaient dans son dos comme l'eau d'un torrent déchaîné. Ses yeux étaient une oeuvre à eux-seuls : transparent, ils étaient délicieusement agrémentés de motifs marins blancs et dorés. Elle ressemblait à l'image que je me faisais des sirènes qui habitaient nos légendes terriennes, mais possédait cependant des jambes humaines.
- Bonjour, nous dit-elle d'une voix douce et chantante. Je suis Giana, la préceptrice de la reine. À sa demande, vous êtes invités à assister à ses leçons personnelles. Nous allons aujourd'hui étudier l'histoire d'Hélios. Vous êtes libres d'écouter ou même de lire un des livres qui sont à votre disposition, ajouta-t-elle en désignant une bibliothèque bien fournie située à côté de la chaise d'Isaas.
- Oui, madame, répondirent moi et mon ami à l'unisson.
- Et bien sûr, vous êtes priés de rester silencieux, annonça Giana.
Je regardais alors Isaas et nous fîmes la décision muette d'écouter le cours. Giana se racla la gorge et prit la parole à nouveau.
- Nous allons commencer aujourd'hui un nouveau chapitre. Il s'appellera « La Guerre d'Elnoyd et les Cent Millions ».
Hilaria sortit un rouleau de parchemin jauni et commença à prendre des notes. Giana se leva et commença à parler de cette Guerre au nom étrange et des « Cent Millions ». Je fus estomaqué, envoûté, transporté par chacun de ses mots, et j'en eus les larmes aux yeux.
- Il y a près de cent cinquante ans, le pays d'Etherna était divisé en deux : Dhorme et Shante. La frontière qui les séparait se trouvait dans le petit village d'Elnoyd. Un grand mur de pierre noire y trônait depuis la nuit des temps ; érigé sept cent ans plus tôt par Hanton, l'Empereur des Nymphes de Shante dans le but de séparer ces deux nations, il s'effondra dans la nuit du 22 vénus 3024. Au petit matin, Elnoyd était vide. Le village avait été entièrement massacré, et était désormais peuplé seulement des cadavres inertes de centaines d'humains, de nymphes, de sirènes, d'elfes, et de tant d'autres encore. Leurs corps avaient été broyés, détruits. Encore aujourd'hui, personne ne sait ce qui a causé ce massacre. Chacun des deux pays, croyant que l'autre en était le responsable, à déclaré la guerre à l'autre. Les premières semaines ne connurent aucune attaque ; les armées n'étaient pas encore prêtes.
De nos jours, la plupart des gens sont persuadés que la guerre a commencé le 12 jupiter 3024, car ce fut le premier jour de combat. Le matin de ce 12 jupiter, Qhodre, une petite ville humaine de 10 000 habitants fut retrouvée entièrement éteinte. Les cadavres remplissaient les maisons, le visage blanc, les yeux écarquillés de peur. Les corps étaient recouverts de cloques, de brûlures, leurs membres étaient bouffis. On raconte qu'ils ne ressemblaient plus à des hommes, mais plus à des poupées de cire qui lentement, avaient fondu, s'étaient déformées. En voyant l'horreur qui avait été proférée contre son peuple, Leyton IV, le roi du pays de Dhorme, enragé, mena une attaque sanguinaire contre la capitale de Shante, Fuena. Ce nom est resté célèbre - il est le symbole des horreurs qui ont été commises durant cette interminable guerre qui dura dix longues années. La bataille de Fuena dura un an, jour pour jour. Elle fit à elle seule dix millions de morts, la rendant la bataille la plus meurtrière de l'histoire d'Hélios. La légende dit que le combat fut si intense qu'il colora l'océan entier de rouge, et que ce fut seulement de cette façon que les souverains des pays au dessus de l'océan furent informés de la guerre qui se déroulait sous leurs pieds : parce que l'eau qu'ils buvaient avait un goût salé et métallique... Un goût de sang.
Suite à la bataille de Fuena, les pays au-dessus de l'océan envoyèrent des forces armées à nos deux pays. Bien sûr, le conflit dépassa bientôt les frontières de ce que nous pouvons aujourd'hui appeler Etherna - la planète entière prit part à la Guerre d'Elnoyd. Elle est reconnue aujourd'hui comme le conflit le plus meurtrier ayant jamais eu lieu. Elle a tué cent cinquante quatre millions de personnes, dont cent millions de civils. Si vous ne deviez retenir rien qu'une seule chose de cette guerre, c'est celle-ci : les cent millions d'innocents qui en ont péri.
Giana s'interrompit, le souffle court, les yeux humides. Un silence absolu régnait dans la pièce - je n'entendais que mon coeur battre la chamade, et des hurlements dans mon esprit. Dans ma tête se déroulait la guerre qu'elle nous avait racontée, dans ma tête je voyais les enfants mourir et les femmes crier.
Le cours se termina sur une conclusion qui me fit prendre conscience du rôle crucial que j'avais dans ce monde si loin de chez moi.
- Hélios est aujourd'hui gouvernée par la génération qui a oublié cette guerre ; avec eux aux commandes de la totalité des pays submergés, elle est passée aux oubliettes. Pourquoi ? Parce qu'on apprend aux populations au-dessus de nous à commettre des crimes tout aussi atroces, et peut-être même pire. Je voudrais que vous compreniez, Hilaria, et vous aussi, Devin et Isaas, que vous avez le pouvoir de changer le monde. Notre futur repose sur vous, et sur le succès de la mission que vous allez entreprendre.
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Hilaria
FantasyTrois-cent soixante cinq jours, un couteau de cuisine et un courage indestructible - voilà tout ce dont dispose Devin pour sauver le monde.