Il y avait maintenant une semaine que je retournais chaque jour dans ma belle clairière, avec l'espoir fou de retrouver la belle souillon qui ne cessait d'occuper mes pensées. Je commençais à désespérer - à croire qu'elle ne reviendrait plus, lorsque, un mardi matin, j'entendis sa voix ; elle chantait une chanson qui m'était inconnue et dont je ne saisissais pas les paroles. Je la cherchais du regard, pour enfin la trouvée assise sur une pierre, entre deux arbres, dos à moi - je m'approchais doucement.
- Salut, ça va ? lui demandais-je, le plus calmement possible.
Elle se retourna brusquement. C'était bien elle ; ses longs cheveux blonds encadraient ses beaux yeux, comme la dernière fois ; cependant, cette fois-ci, la peur était marquée sur son visage.
- Devin ? demanda-t-elle, la voix tremblante.
- Ben oui. Tu te souviens encore de moi quand même ?
Hilaria s'approcha de moi et murmura :
- Il faut que tu viennes avec moi. Nous n'avons plus beaucoup de temps !
- Quoi ? Mais où ça ?
- Prends-moi juste la main. Tu verras bien.
Incrédule, je m'exécutais. Elle se mit soudain à courir, m'entraînant avec.
Je voyais les arbres défiler devant mes yeux, sentait mes jambes peu entraînées s'épuiser, mon souffle se raccourcir - et nous venions à peine de démarrer notre course. Mon esprit était embrumé, et je n'en garde aujourd'hui qu'un seul souvenir : l'étonnement. Car si je ne savais pas à quoi m'attendre, jamais dans mon rêve le plus fou n'aurais-je pu imaginer ce qui arriva ensuite : le monde disparut autour de nous. Dans notre course effrénée, les arbres disparurent peu à peu, puis le ciel et le sol, jusqu'à ce que tout autour de nous demeure la pénombre. Je ne voyais plus qu'elle.
La panique m'envahit lentement - j'étais en train de courir dans le vide total accompagné d'une parfaite inconnue. J'eus beaucoup de mal à accepter cet évènement, et ceux qui arrivèrent ensuite ; dans ton monde, ma fille, ce genre de choses arrivent souvent, elles sont presque considérées comme normales, mais dans celui qui a été le mien, ce serait considéré comme de la magie noire, de la sorcellerie, une action maléfique.
Les battements de mon coeur reprirent lentement leur rythme normal lorsque je fus capable de voir à nouveau. Hilaria s'arrêta brusquement, et je pus enfin observer à ma guise le paysage nouveau qui m'entourait ; nous n'étions plus dans la bonne vieille forêt de Thornwoods, oh non ! Nous n'étions certainement plus en Angleterre, et peut-être même plus sur Terre ! Le paysage était... différent. Rien de ce que je n'avais jamais vu dans ma courte vie ne ressemblait à ça.
Nous étions sous l'eau - tout autour de nous, je sentais l'eau changer la vitesse de mes mouvements, modifier le poids de mon corps - et pourtant, je respirais normalement.
Je commençais à remarquer tout les autres détails insolites qui m'entouraient ; un groupe de truites en costumes noirs, un vendeur de chapeaux spécialement fabriqués pour une certaine espèce de thon, une langouste criant sur sa fille, un bar pour plancton, et, plus fou que tout ça encore, des sirènes, des ondines, et d'autres créatures toutes plus singulières les unes que les autres, et que je n'étais pas sûr de reconnaître.
Il y avait aussi énormément d'humains, juste comme moi, mais ils semblaient trouver parfaitement normal la compagnie de ces divers animaux. Je prêtais alors une plus grande attention aux bâtiments autour de moi - nous étions apparemment au coeur d'une ville, mais qui ne ressemblait en rien aux rares villes que j'avais visité jusque là.
Une bourgade pareille devait forcément forcément tenir du surnaturel, car certaines maisons, les plus petites, flottaient. Si on les regardait d'un oeil distrait, ces habitations suspendues pouvaient facilement être confondues avec des bouquets de fleurs, tant elles étaient colorées ; celles fixées au sol étaient construites de roches noires. Les murs des bâtiments les plus bourgeois étaient polis et brillaient de mille couleurs - les plus modestes étaient en pierre brute.
Hilaria m'arracha soudainement à ma contemplation et pris la parole :
- Bienvenue à Etherna, le pays du tréfonds des océans. Nous nous tenons sur la planète d'Hélios, à des milliers d'années lumières de la Terre. Etherna est une nation peuplée de 147 millions d'êtres vivants, dont 52 000 espèces différentes. Sa capitale est Aredor. Etherna est le pays le plus peuplé et le plus puissant d'Hélios, et j'en suis la reine. Seulement, je suis encore trop jeune pour avoir le plein pouvoir, alors je suis accompagnée du Conseil. Ils m'ont dit que tu étais notre seul espoir de gagner la guerre. Je ne peux pas trop t'en dire plus, mais le Conseil t'expliquera tout. Maintenant, suis-moi, je vais t'amener au palais.
Tout me semblait irréel - ceci devait être un rêve, tu comprends ? Chaque sirène que je voyais, chaque parole qu'Hilaria prononçait, chaque maison que j'observais - tout ça était beaucoup trop fantaisiste pour exister. J'ai longtemps cru de pas avoir voulu y croire, mais je sais à présent que j'en étais tout bonnement incapable ; l'esprit étroit des habitants de la Terre était ma barrière.
J'eus le souffle coupé lorsque nous arrivâmes devant le palais qu'Hilaria avait mentionné. Il était majestueux, et extrêmement différent de tout ce que j'avais jamais pu voir avant. Sculpté dans une pierre couleur sable, il était orné de milliers de coquillages et statues toutes plus incongrues les unes que les autres. Centaures, sirènes, hippocampes, serpents, dragons - toutes ces formes insolites étaient présentes sur la façade de cet étrange châteaux. Haut d'une vingtaine de mètres, il était affublé de cinq tours au toit d'ocre sur lesquelles d'innombrables fenêtres de verres étaient posées.
La grande porte était une oeuvre d'art à elle seule - élégant mélange d'or et de verre, elle évoquait un lac ensoleillé brillant de mille feux. Une demi-douzaine de gardes étaient postés devant l'entrée, vêtus d'une tenue pourpre et ocre.
Ce palais a été détruit, il y a des années de cela - j'aurais aimé te le montrer. Des décennies après, j'ai toujours des frissons lorsque j'y repense. J'ai visité tellement d'endroits, vu tellement de choses, entendu tellement de mélodies - et pourtant, encore à ce jour, aucun endroit n'est plus grandiose que ce palais, et aucun son n'est aussi beau que la belle chanson qu'Hilaria fredonnait en cette curieuse journée où ma vie entière a changé.
NDA : Mercredi, je pars en vacances pendant 2 semaines (je reviendrais le 5 août), donc je ne pourrais rien publier pendant cette période. :)
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Hilaria
FantasyTrois-cent soixante cinq jours, un couteau de cuisine et un courage indestructible - voilà tout ce dont dispose Devin pour sauver le monde.