🕸️CHAPITRE 2🕸️

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C'était arrivé au beau milieu de la nuit, sans prévenir. Un orage comme Tonelli n'en avait connu. Si les premiers coups de tonnerre, encore lointain, avaient d'ores et déjà suffit à réveiller les plus petits à peine endormis, il y avait une silhouette bien plus terrifiante qui se dressait plus haut, surplombant l'ensemble de la ville. Celle du manoir de Castelroc.

La nuit était si noire que l'on pouvait presque, en fixant son regard, apercevoir quelques lueurs s'échappant des rares fenêtres non couvertes de celui-ci, laissant alors à penser que la maîtresse de maison, tout comme les enfants, ne trouvait guère le sommeil et pourtant, ce n'était pas tant la tempête s'abattant sur la ville qui gardait Margarette éveillait, non, ce fut tout autre chose. Une lettre. Délicat petit bout de papier que cette dernière tenait encore entre ses mains, comme si elle attendait, miraculeusement, que le contenu en change.

« Ma douce Margarette,

Je me permets de t'écrire ceci avant que les nouvelles ne viennent à toi par le biais de moyens beaucoup plus officieux. Dès demain, père annoncera tes noces prochaines avec Ethan Gainsbourg que sa famille presse de venir à ta rencontre le plus tôt possible. Je sais que la chose semble du plus précipitée, mais selon père, cela te sera bénéfique que de te trouver un nouvel époux, toi qui portes encore le deuil de James. En outre, les Gainsbourg ont quelques possessions et propriétés qui ont longtemps fait de l'œil à notre père et dont celui-ci se vante déjà de l'acquisition... Je n'ai pas besoin de te dire ô combien cette situation me chagrine. Chaque jour un peu plus, son avidité paraît le perdre et il entraîne doucement avec lui, l'ensemble de la famille. Tu as eu raison de partir et j'aurais tant aimé te suivre comme tu me l'avais suggéré, mais si je pars alors... Qui veillera sur lui ?

Prends soin de toi et surveille l'horizon, le bateau d'Ethan devrait arriver dans un mois.

Ta sœur bien aimée,

Lucie

Ainsi donc, la nouvelle avait été décidée sans même la concerter. Pas un mot. Pas une lettre. Rien. Encore une fois, Margarette n'existait que pour servir des intérêts dits « plus grands », mais dont elle ne comprenait jamais les finalités, si ce n'était que ces mêmes intérêts furent tout bonnement la cause de son malheur.

Son précédent mariage s'était soldé par un échec et elle s'était retrouvée veuve à l'âge de vingt-deux ans, ce qui en soi était bien trop précoce. Une tache sur le nom des Heelz et une ombre dont elle peinait à se débarrasser, car la mort de James avait été... Lente et douloureuse. Une maladie dont aucun des quatre médecins de la famille ne fut à même de nommer, mais dont Margarette connaissait tous les secrets.

Une maladie qu'elle appelait elle-même : La vengeance.

Puisque effectivement, ce n'était pas tant les symptômes dignes d'une peste noire qui avait emporté le pauvre James, mais bel et bien l'œuvre de la main de la jeune femme. C'est fou ce que quelques plantes et mauvaises herbes intelligemment combinées peuvent donner comme résultat. Évidemment, James n'était que le fruit de quatre années d'études sagement et diligemment menées. N'y avait-il pas eu cette horrible Tante Pénélope auparavant ? Puis Mamie Joséphine ? L'oncle Norbert également était mort dans d'étranges circonstances, non ? À croire que plus les années passaient, plus la famille Heelz rétrécissait pour ne laisser qu'à sa tête un homme n'ayant que pour seule amante et épouse l'avarice elle-même.

En outre, parlons d'Ethan Gainsbourg : Fraîchement diplômé, fréquentant à peine les cercles sociaux si ce n'est par nécessité pour se créer son propre carnet d'adresse et dont le nom était associé à celui de son aîné et la drôle de réputation que celui-ci s'était forgé : Le gigolo de la Haute.

De mémoire, Margarette n'était même pas certaine d'avoir déjà eu l'occasion, ne serait-ce qu'une fois, de croiser Ethan Gainsbourg quelque part. C'était encore un inconnu qui, comme elle, allait servir de pions dans l'intérêt de sa famille, bien que quels intérêts devaient avoir les Gainsbourg pour s'associer soudainement aux Heelz ? Allez savoir, cela faisait maintenant bien trop longtemps que Margarette avait fui ce monde-ci.

Bien trop longtemps que la jeune femme s'était réfugiée ici.

Parfois encore, il lui arrivait, dans de rares moments, de penser à James. À ce qu'il lui faisait. Dans de rares moments, elle se perdait dans ces atroces souvenirs qui la hantaient à tout jamais. Des souvenirs dans lesquels elle pouvait encore ressentir son souffle chaud et humide, imbibé d'alcool contre sa peau. Son entrejambe appuyée contre son bas ventre et ses mains... Ses mains moites et fermes la tenaient. La retenant. Combien de fois avait-il, d'une seule de ses mains, couvert ses cris ? Combien de fois avait-il, d'une seule de ses mains, effleuré sa peau tremblante ? Combien de fois avait-il, d'une seule de ses mains, tenu sa tête plaquée contre un oreiller ? Tantôt il ne voulait pas la voir et tantôt il se délectait de ses larmes en y prenant un plaisir malsain.

Peu importe la forme qu'il prenait, James demeurait un monstre.

Un monstre qu'elle avait elle-même chassé, des larmes de joie collées au visage.

Était-ce donc un nouveau monstre que l'océan lui apportait ? Si tel était le cas, Margarette s'en retournerait vers Dieu afin que la plus virulente des tempêtes s'abatte sur son navire, car aujourd'hui, elle n'avait plus la force de rien si ce n'était de s'agripper ardemment à la chose la plus précieuse qu'elle possédait : son souhait.

Le souhait d'être, un jour peut-être, débarrassée des mains la retenant contre sa volonté.

Le manoir de CastelrocOù les histoires vivent. Découvrez maintenant