🕸️CHAPITRE 3🕸️

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Un mois. C'était là le temps escompté pour Margarette afin d'élaborer le plus savamment possible le stratagème qui lui empêcherait un mariage malheureux. Un mariage tout court, disons, car très honnêtement, après un tel échec avec le premier, le second ne s'annonçait guère mieux. Il n'était ni question d'un mariage d'amour ou bien même de circonstances, mais bel et bien d'une proposition commerciale, puisque c'était là tout ce qu'elle représentait pour sa famille : un atout commercial. Elle s'imaginait déjà la voix sévère et ferme de son père lui répétant ô combien elle devrait se montrer reconnaissante et que par conséquent, c'était la moindre des choses d'exprimer sa gratitude en aidant ainsi sa famille à prospérer.

Mais qu'avait fait au juste cette famille pour elle ? Depuis l'instant où elle était venue au monde et malgré ses indéniables et nombreuses qualités qu'elle ne comptait plus, Margarette n'a jamais su posséder l'amour des siens. Longtemps, elle l'a demandé, souhaité, rêvé même, mais avec le temps et les âges défilant, la jeune femme prenant en maturité avait compris que l'on n'attendait rien de plus d'elle qu'être là où on l'espérait. Par conséquent, elle avait joué son rôle à merveille. Elle avait été la fille modèle et, quand le moment fut venu, elle était devenue l'épouse comblée que l'on attendait qu'elle soit, mais quand la réalité la rattrapait, le soir, à la nuit tombée, alors... Toute sa fantaisie et toutes les excuses et les justifications qu'elle pouvait se construire, tout ceci s'écroulait brutalement, tel un château de cartes sur lequel on soufflait.

James n'était pas un bon mari. En vérité, c'était un bon à rien. Il trainait tard le soir dans des endroits peu fréquentables et recommandables. Il sentait très souvent l'alcool. Il ne s'occupait ni de son domaine, ni de ses affaires, et même en tant qu'amant, il était terrible. Terrible et méchant. Il ordonnait beaucoup et se montrait particulièrement violent et capricieux quand il n'avait pas ce qu'il désirait. Ainsi, Margarette ne comptait plus ni les jours ni les nuits où son être tout entier devait payer le prix de l'avarice de son mari. Le plus triste dans toute cette histoire ? C'est qu'elle dut elle-même se sauver de cette épouvantable union puisque personne, malgré les échos et les rumeurs courants à son sujet, ne semblait déterminé à le faire. La réputation de James effrayait quiconque l'approchait et il n'y avait que les dérangés d'esprit pour s'y risquer.

À l'exemple du propre père de Margarette.

Et si la jeune femme avait fui la demeure familiale après avoir sécurisé de façon peu orthodoxe la possession de ce manoir perdu au beau milieu de la montagne, ce n'était pas tant pour y fuir, mais tout simplement pour tout recommencer. Reprendre là où la vie l'avait laissée. Toutefois, il n'était jamais aisé d'apprendre à respirer quand, durant toute votre existence, vous n'avez fait que suffoquer, volant quelques bulles d'oxygène ici et là lors de trop rares occasions.

À la lecture de la lettre, ce n'était pas l'idée de réitérer l'assassinat malencontreux de son prochain mari qui ne lui traversait pas la tête en premier, mais Margarette espérait secrètement que l'océan ou bien même une quelconque maladie se développant à bord du navire arrivant jusqu'à Tonelli s'occuperaient d'Ethan Gainsbourg en premier. Peu importe que le bateau sombre dans les abysses glacés ou bien que celui-ci meure en développant des furoncles si gros qu'ils l'étoufferaient dans son sommeil, toutes les méthodes lui convenaient du moment qu'Ethan ne parvenait pas jusqu'ici. D'ailleurs, allait-il venir ? Aux dernières nouvelles, sa famille le pressait, mais il n'avait pas pris la peine d'écrire à la principale concernée avant même de débarquer. Espérait-il d'elle la charité une fois sur place ? Que celle-ci, trop amoureuse et enjouée, s'empresserait alors de lui ouvrir les portes de sa demeure ? C'était vraiment mal connaître la jeune femme. D'ailleurs, il ne la connaissait pas du tout. Peut-être s'était-il renseigné ici et là, espérant quérir quelques précieuses informations à son sujet, mais rien ne serait plus éloigné de la réalité que les ragots de la haute société. Après tout, personne n'avait encore réalisé quelle excellente criminelle en cavale Margarette Heelz faisait.

Une chose était certaine, elle ne se déplacerait ni au port pour le voir débarquer, ni même jusqu'aux grilles en fer forgé afin de lui permettre l'accès à sa demeure. Elle ne lui devait rien, pas même la moindre courtoisie ! Avait-il sérieusement le culot d'espérer qu'elle serait heureuse en le voyant ? Sans doute, son culot disparaîtrait avec lui si elle s'en occupait... Non. Une fois avait suffi. James était un homme manipulateur et violent, Ethan n'était qu'un garçonnet fraîchement diplômé pensant encore naïvement que le monde lui était dû par son statut, il allait rapidement déchanter.

Satisfaite de le savoir mort et enterré sous des eaux tumultueuses, Margarette se rendormit alors que l'aube pointait tout juste le bout de son nez. L'orage était passé depuis fort longtemps maintenant et la ville avait regagné son calme habituel.

Un calme qui s'annonçait aussi éphémère que la bonne humeur de notre nouvelle propriétaire.

Le manoir de CastelrocOù les histoires vivent. Découvrez maintenant